Informations sur l’accessibilité du site

Brigitte Audiber

Chambre 10

Ton coeur s'ouvrira

Nous approchons à grands pas de la fin de cette aventure. 

Vendredi, nous avons de nouveau rendez-vous à Lyon avec le Docteur Sasson, et j’espère qu’elle ne me reconnaîtra pas ! Enfin, quand je dis ça, bien sûr, je sais bien que c’est une formule, je crois vraiment que j’ai récupéré grâce à ce séjour à l’Auberge, et je suis tellement reconnaissante à Gérard, d’avoir sacrifié ses projets initiaux, pour passer toutes ses vacances ici, et faire les trajets qu’il a faits pour être là quasiment chaque jour avec moi. Je sais pertinemment que jamais, je n’aurais autant progressé en centre de réhabilitation.

J’ai une chance inouïe d’avoir auprès de moi l’homme aimant qu’il est, et aussi, que par la grâce de Dieu, il ait connu les techniques et les ressorts de la maladie addictive, pour m’aider autant qu’il l’aura fait, avec sa gentillesse et ses moqueries affectueuses aussi. 

“Brindille, tu es et tu resteras mais comme j’apprécie de ne plus sentir tes côtes comme un sabre contre mon thorax”, m’a-t-il sorti l’autre nuit alors qu’on faisait l’amour. 

Je l’aurais giflé ! 

— Tu crois que j’ai grossi ? 

— Non, voyons ! pas grossi, tu t’es retapée, tu es douce et enfin confortable ! et surtout, je n’ai plus peur que tu t’envoles au premier coup de vent. 


Il faudra que je remercie la Janette pour ses bons repas, et la patience qu’elle a toujours eue avec moi, lorsque je venais faire “l’inspection” préalable aux cuisines, pour être sûre que je trouverais ce que j’allais pouvoir consommer, mon obsession n’est pas encore totalement envolée, progrès n’est pas perfection, et c’est tout un processus, lent et difficile, et je l’accepte. 

Gérard n’aura pas été le seul à m’accompagner sur ce chemin délicat. 

Vendredi dernier, j’ai eu la surprise d’être “invitée” par une vieille dame, résidente à l’auberge, pour aller à la messe en compagnie de toutes les dames catholiques qu’elle pouvait rameuter : cela m’a fait chaud au cœur, moi qui me crois toujours invisible et insignifiante ! Elle avait remarqué mon petit médaillon, une mamie drôlement attentionnée et avec l’œil aiguisé, pour remarquer d’aussi petits détails, et joviale avec ça, elle m’a fait penser à Mamizanne en plus potelée, mais tout aussi loquace et enjouée et enthousiaste avec ça à l’idée de rallier tout son bercail pour la messe ! 

Gérard m’a encore taquinée quand je lui ai dit que j’allais y aller, à pied, parce que quand même je n’ai pas osé accepter de partager le trajet en voiture avec ces dames, je ne voulais pas avoir l’air cruche si je ne pouvais pas faire la conversation.

Ce n’était pas Père Guillernoz qui allait officier, j’avais bien peur de ne pas avoir grand chose à contribuer. Quand j’ai dit au revoir à Gérard, il me lance : “Et n’oublie pas de mettre un cierge pour les chaussettes rouges que je n’arrive pas à retrouver !”

— Mécréant infâme, que je lui ai répondu. 

Il me chambre toujours et pourtant c’est lui qui me pousse le plus à continuer à assister à la messe, même quand il n’y dirige pas la chorale, allez comprendre !

Ou plutôt, je comprends. Il a raison. A chaque fois que je reviens, je me sens inspirée, apaisée, et cette fois-là n’aura pas manqué. 


Le prêtre était un jeunot, et plutôt timide et mécanique, je me demande si c’était sa toute première paroisse, il faudra que je questionne le Père Guillernoz qui doit savoir.

Je ne l’ai même pas entendu se présenter ou dire son nom, tiens, quand j’y pense, et certainement, il a filé comme s’il avait un chapon sur le feu dès la messe terminée, alors qu’il y avait suffisamment peu de monde qu’il aurait quand même pu nous saluer poliment à la sortie de l’église, il m’a un peu fait penser au mari de Virginie, voilà, qui est Asperger, alors peut-être que c’est encore plus timide que moi !

En attendant, son homélie m’a parlé droit au coeur. 


Le royaume des Cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines.     

Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle.

Matthieu 13:44-46


J’étais toute ragaillardie après et pour une fois, j’avais des compagnes avec qui je pouvais partager mon bien-être, là, tout de suite ! Nous étions sur le parvis de l’église, et nous avons bavardé. Oui, j’ai bavardé avec elles !

La vielle dame se prénomme Jeanne, il y avait une autre dame, Diane, qui avait offert de conduire Jeanne. Et elles avaient également proposé à Irène-Aimée de se joindre à elles !

J’espère que je n’ai pas gaffé quand je leur avais indiqué que nous nous étions retrouvées à la messe ensemble un dimanche. Je n’étais pas sûre encore que j’irais moi-même, et Jeanne semblait si enthousiaste à l’idée de ne pas louper la messe que je n’aurais pas voulu qu’elle se retrouve en plan, avec personne pour lui tenir compagnie, surtout que Pollox, ce n’est pas Saint-Claude ! 

C’était bien bon d’être toutes ensemble, venues d’horizons si différents chacune, et en communion simplement par la grâce d’un beau dimanche et d’une promesse lumineuse lorsque l’on professe l’ouverture du cœur ! 

J’ai mesuré combien j’avais parcouru de chemin, sans regret pour la traversée aride et l’absence de discernement qui a dû être le mien, notamment durant tout le mois écoulé, où j’ai bien eu du mal à me lier avec quiconque. J’ai préféré rester toute seule avec mon carnet ou mon herbier quand je n’étais pas en randonnée avec Gérard, ou bien à batailler avec mon plan alimentaire et mes comptes-rendus de progrès.

J’aurais été moins enfermée dans ma tête, j’aurais sûrement aimé vadrouiller plus souvent avec Adèle et Natou, qui pétillaient des bulles de champagne en permanence, et moi, je ne pouvais qu’entendre leurs voix comme des cristaux intouchables : trop peur de faire éclater les bulles de joie avec ma confusion ou de chanter à contretemps, comme il peut m’arriver de le faire quand je n’y prends garde ou que je panique. 

Mais finalement, grâce à l’herbier, j’ai eu cette expérience merveilleuse de la rencontre avec une belle âme, la grande dame qui se trouve être une authentique comtesse, et qui par sa validation m’a redonné confiance en moi.

Après notre rencontre, j’ai pu faire part de mon projet à Gérard :  m’installer à mon compte et tenter l’expérience d’ouvrir un atelier de confection de bijoux artisanaux.

J’ai même trouvé des ateliers de formation qui commencent à la fin du mois d’août et j’ai envoyé mon inscription, avec les encouragements de mon mari, qui est ravi de me voir prendre des initiatives, je veux bien le croire ! 

En tous cas, merci à Ann-Kathrin pour m’avoir mis le pied à l’étrier, car si je peux apprendre la botanique, l’orfèvrerie ne devrait pas être trop difficile, au moins, le vocabulaire ne me sera pas étranger ! 


J’ai repensé à ces semaines à l’auberge, et à tous les visages croisés, sur les chemins, autour du lac, au salon, et surtout à la salle à manger.

Parfois confuse du brouhaha dans ma tête et mes émotions, je n’ai pas osé toujours me manifester malgré les tentations.

Il aura fallu seulement la crise de nerfs en miroir de ce que je ressentais moi-même le premier soir, de Calliste pour que j’arrive vraiment à me propulser vers autrui. J’ai quand même absorbé beaucoup du miracle de ce lieu assez unique, la magie de notre beau Jura ancestral aura bel et bien opéré.

Je l’ai vue à l’œuvre aussi parmi les autres résidents. 

Je n’ai pas gardé les pages noircies chaque jour, pour beaucoup elles sont parties en petits bouts éparpillés dans la corbeille, ou dans la cheminée, et je n’ai aucun regret.

Il y aura toutes les photos somptueuses et lumineuses de Gérard pour raconter l’autre versant de l’histoire que nous avons vécue ici. Pour cela aussi, je lui en suis tellement reconnaissante.

Il me dira tous les secrets qu’il a captés, car lui, il les a vus, les autres, les rencontres furtives et moins furtives, les amours nouées et dénouées, les cavalcades et les rigolades… Il n’en a pas perdu une miette, celle que je grappille d’un doigt timide sans oser le porter à mes lèvres.

Il me racontera et surtout me montrera le chemin, toujours vers la vie, toujours vers le haut, toujours plus fort et plus beau. Et rétrospectivement, mon cœur s’ouvrira, comme il commence à savoir le faire. 


Vendredi, nous reprendrons la route, avec un détour par Lyon, bien sûr, puis direction l’appartement à Dole, qu’il va falloir bien aérer.

Ensuite, beaucoup de préparatifs en vue, quelques conversations sûrement difficiles avec Christelle, Virginie et maman, en particulier, parce que je n’envisage aucun problème du côté des sœurs de Gérard, et encore moins de la part de Latifa qui est depuis le début dans le secret !

Et puis ce sera direction Strasbourg où la fille de Gérard, “notre” fille, se mariera à la mairie le jeudi 13 août.

Puis, ses trois “mamans” sont chargées de préparer la fête et le banquet, et la grande réunion du week-end de l’Assomption ! Que de réjouissances en perspective.

Une nouvelle vie s’annonce. Une nouvelle génération qui prend la relève et qui montre la voie : si le Seigneur a créé des créatures de toutes les couleurs, de toutes les religions et de toutes les préférences sexuelles, c’est aussi pour se réjouir de les voir rassemblées pour célébrer celle qui donna la vie à notre Sauveur.

J’y vois surtout le symbole de l’amour triomphant sur la peur de la mort, de la lumière triomphant des ténèbres. 

Et miracle des miracles, j’ai déjà commencé des listes de menus pour le banquet ! La vie reprend son cours. Mon cœur est plein. 

Haut de page