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Alexeï Dolgoroukov

Chambre 14

La sérrrrrénade

Eh ben voilà, c’est malin.

Avec cette histoire de baignade plus ou moins forcée, j’ai attrapé la crève, ça fait plus de deux jours que je grelotte sous la couette.

Le bon côté des choses, c’est que le Comte est aux petits soins avec moi. Je me demande même si je ne vais pas devoir lui rendre une partie de mon salaire à la fin du mois.

On a fait des tests comparés avec ce que j’ai rapporté du ravito et on est tous les deux d’accord que la prune, ça endort plus vite, alors que la poire, ça parfume mieux.

J’ai tout de suite senti le moment où j’allais mieux au fait qu’il a recommencé à penser à sa prochaine connerie. Il est remonté du petit déjeuner tout à l’heure en me disant qu’il avait parlé quelques minutes avec la jeune Adèle. Elle lui aurait dit que notre voisine de chambre avait expliqué tout le mal qu’elle pensait de lui parce qu’il ne s’était pas excusé de son tapage nocturne la semaine dernière et que sais-je encore.

— Moi grrrrand marrrasme, marrrrrasme bolchoï, Alexeï. Avoirrrr crrrru que larrrrgesses slaves suffisantes pour fairrrre parrrrrdon mais petite dame rrrravissante rrrrraison, comporrrrtement mien indigne grrrrande noblesse.

— Laquelle de petite dame ?

— Jeune femme charrrrmante, chambrrrre à côté !

— Je ne vois pas, j’avoue, la chambre d’à côté est occupée par une dame qui a quasiment votre âge…

— Oh dame pétillante, rrrrrondeurrrrs attirrrent la main de l’honnête homme, yeux pétillent comme jeune fille, sagesse et frrrroideurrr apparrrrente signe d’un tempérrrrament de feu…

— Euh, Monsieur le Comte, c’est d’une dame, qu’on parle, là. Et elle a l’air d’être assez loin d’être sensible à vos charmes. Le mieux serait peut-être de faire profil bas, à mon avis.

— Mais Alexeï ! Vous êtrrrrre fou !!! Elle peut êtrrrre derrrrnièrrrre chance amourrrr rrrrromantique de ma vie !!!

(Je rêve ou il s’emballe sur une vieille dame qui ne peut déjà pas l’encaisser, là ?)

— Alexeï, comment êtrrre doux nom de tendrrrre perrrrrsonne ?

— Jeanne, je crois, Jeanne Monquelquechose.

Oh le con. Le temps que je lui réponde il a sorti sa balalaïka. Le voilà en train de s’installer sur le balcon et d’entamer Kalinka.

Ivanna[1]
Pardonn’moi,
Pardonn’ moi
Ivanna

Vieux fou,
Aimer toi
Ivanna
Aimer toi

Bon. Puisqu’il le prend comme ça, il ne me reste plus que l’arme de destruction massive. Tant pis pour son cœur brisé, je ne suis pas assez en forme pour gérer deux seniors en mode turbo.

— Monsieur le Comte, avant que cette histoire entre vous deux n’aille trop loin, je dois vous dire que… je crois qu’elle est catholique pratiquante. Il paraît qu’elle a réuni toute une troupe pour aller à la messe dimanche dernier.

— Quoi ? Pourrrrrquoi toi pas dirrrre moi, Alexeï ?

— Pas eu le temps, vous êtes partis trop vite dans la sérénade.

— Merrrrrde (pensif puis rugissant)… Merrrrrde !!! Merrrrrde bolchoï !!!!! Si Dieu à elle existe, fait qu’elle soit sourrrrrrde !


Ambiance musicale

Note

[1] Ivanna est l’équivalent russe du prénom Jeanne

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