Informations sur l’accessibilité du site

Diane

Chambre 2

Messe, Escale et Karaoké

Sérendipité. Aide-toi et le Ciel t’aidera. Pendant le sermon de la messe, le prêtre a eu une phrase de ce genre. Je ne sais pas si c’est la lumière chaleureuse qui passait à travers les vitraux, la jolie voix de Brigitte pendant les chants, le recueillement des 17 ouailles (je les ai comptées plusieurs fois !) ou mes chakras qui se sont particulièrement ouverts, mais je n’ai jamais autant apprécié une messe. Pourtant, je n’étais pas partie pour y assister. Pendant le trajet, la discussion avec Jeanne m’avait un peu déprimée : je lui avais confiée que je pensais au divorce et j’ai bien vu la désapprobation dans son regard. Désapprobation que je retrouverai dans nombre de regards, y compris celui de ma mère. Je la vois me fustiger, sa pelle à tarte suspendue au-dessus du dessert dominical quand je le lui annoncerai, à mon retour. Mais c’est quand Jeanne m’a raconté la maladie de son mari, la façon dont elle avait été présente, leur couple si soudé, que la tristesse m’a gagnée. Je suis certaine aujourd’hui que si j’avais à traverser un tel épisode, ce serait seule. Ou pas complètement, j’aurais sans doute droit à des remarques du style “Mais arrête de te plaindre, arrête d’y penser et de ressasser, tu ne vas jamais guérir sinon !”

A la sortie de l’église, nous avons un peu attendu Jeanne qui tenait absolument à brûler un cierge pour moi, avant de rejoindre la voiture garée à l’ombre en face du Café des Sapins. Puis nous avons quitté la quiétude de Pollox pour rejoindre l’auberge. J’étais d’humeur triste mais décidée. En plus, je bénéficiais du soutien du bon Dieu, grâce à Jeanne.

J’ai testé ce soutien lors de l’épreuve du portable. Il fallait que je renoue avec la technologie pour le trajet à Lyon. Et je voulais connaître la teneur des messages reçus avant mon entretien avec Pierre. J’avais quelques messages de mes voisines-copines : Corinne m’informe qu’elle s’est arrangée avec la postière pour récupérer le courrier. Toutes me proposaient leur service d’écoute et me témoignaient leur loyauté. Encore un peu plus de baume au cœur à glisser dans mon bagage pour lundi. La plupart des messages vocaux émanaient de Pierre. Les premiers étaient agacés :

“Je ne comprends pas, tu me dis que tu pars, que tu laisses les enfants à tes parents ? Mais tu vas où, pourquoi ? Tu vas au chevet de quelqu’un de malade ? Je ne comprends rien, rappelle-moi.”

Dans les suivants, le ton monte, il devient furieux, menaçant, puis il tente le ton badin, “Allez, j’ai compris, arrête la blague maintenant”, voyant que je tenais bon dans le silence. Puis plus rien à partir du troisième jour. Il n’aura pas beaucoup insisté.



Pierre était déjà là quand je suis arrivée. Malgré le beau temps, il avait préféré s’installer dans la salle, dans un recoin aux banquettes pourpres. Il se lève à mon arrivée et me serre dans ses bras. Je réponds mollement à son étreinte et me dégage rapidement pour prendre place en face de lui.

“Tu as bonne mine, tu es bronzée. Tu as maigri on dirait. Ok, on commence par une phase de compliments

-Merci, c’est gentil. Toi tu n’es pas beaucoup bronzé en revanche. Pourtant tu étais là-bas ?

-Oui, mais tu sais je n’ai pas vraiment le temps de sortir. Les journées de boulot sont très longues. Mais j’ai quand même trouvé la maison ! Dans un super quartier, on sera avec les politiques et les stars locales, genre Beverly Hills !

-Ou Wisteria Lane… Mais tu vois, je n’ai pas envie, enfin plus envie, de jouer les Desperate housewives.

-Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? La phase compliment n’aura pas duré. Nous voici dans une phase plus offensive.

-Et bien, que je ne veux pas te suivre. Je sais que ça te paraît impensable, vu que tu ne m’avais même pas demandé mon avis pour accepter de partir.

-Je voulais te faire une surprise ! Je reste interdite. Je répète, les sons sortant péniblement de ma gorge, tellement le souffle est coupé

-Une surprise ?

-Oui, je voulais te faire la surprise d’une grande villa avec piscine, avec domestiques. Toi qui te plains de te tuer à la tâche du ménage, plus de ménage à faire ! Tu auras tout le temps que tu veux pour t’occuper des filles, t’occuper de toi !

-Et notre vie sociale ? Tu emmènes nos amis, nos voisins aussi ? Le Nigeria est un pays dangereux, on ne pourra jamais sortir sans escorte, on sera cloîtrés dans cette villa, sans vie culturelle, sans loisirs. À part devenir alcoolique et/ou droguée, je ne me vois pas d’avenir là-bas. Mais enfin, arrête de penser pour moi ! J’ai un cerveau et je sais encore un peu m’en servir. Comment as-tu pu décider notre avenir sans me consulter ! On fait une surprise pour une escapade en week-end, limite pour des vacances, mais pas pour changer de vie…

-Ce n’est l’affaire que de quelques mois, quelques années au pire…

-Qui me dit que tu ne rempileras pas ? Dans un autre pays, tant qu’à faire. C’est bien payé. Et je te connais, il t’en faut toujours plus.

- Qu’est-ce que tu proposes ? Je me suis engagé, je ne peux pas revenir en arrière, je commence à plein temps à partir du 13 août. Allez, arrête ton caprice et accepte de venir. Essaye la vie d’expat’. Je suis sûr que ça va te plaire. Et les filles aussi vont se plaire, on va être bien là-bas.

-TU vas être bien là-bas. Écoute, ma décision est prise. Je ne te suivrai pas. ON ne te suivra pas. Je vois une lueur mauvaise traverser son regard. Il sourit, narquois, en se calant dans son siège.

- Qu’est-ce que tu es en train de me dire là ? Tu comptes faire quoi toute seule ? Dois-je te rappeler que tu ne travailles pas ? Comment tu comptes faire comment sans moi ? Parce qu’en fait tu n’as pas le choix ma vieille: si je pars, tu pars.

-Ah, les menaces. Elles ont été longues à venir.

-Tout de suite les grands mots. Non, mais techniquement, explique-moi comment tu comptes faire pour continuer à vivre ici ?

-Et bien je vais prendre un avocat, on va déterminer le montant de pension alimentaire qui me revient, quitte à revendre la maison, prendre un logement plus petit. Un appartement suffira pour nous trois, ce sera plus facile à entretenir ! Et puis je vais trouver du boulot…

-Non, mais tu n’es pas sérieuse ? Un avocat, une pension, vendre la maison ? On parle de quoi là ? Je vois son teint osciller entre le rouge et le blême.

-Je parle de divorce. Ma voix tremble, mes yeux s’humidifient.

-Mais non ! Mais non ! Ok, tu ne veux pas me suivre, mais… Regarde, tu pleures. Tu n’y songes pas vraiment. C’est toi qui me menaces en fait.

- Oh non, je suis très sérieuse. Regardons les choses en face. Il n’y a plus rien entre nous. Même pas le minimum de respect pour m’inclure dans une décision aussi conséquente que de partir s’expatrier. C’est juste révélateur de ce que notre couple est devenu. De ce que je suis devenue à tes yeux. A force de vouloir toujours te satisfaire, garder une certaine harmonie dans notre foyer, j’ai effacé toutes mes prétentions, toutes mes envies, au point de disparaître complètement en tant qu’épouse, moitié, âme sœur.

-Mais non, tu te trompes. Tu comptes beaucoup. C’est juste que… je ne sais pas… c’est la vie des couples, non ? La passion s’éteint, ce n’est pas comme au premier jour. C’est pour tout le monde pareil.

- La passion fait place à de la tendresse, de la complicité, de l’attention, plein de termes qui ne collent pas pour décrire notre relation aujourd’hui.

Comme pour compléter mes propos, je remarque que le regard de Pierre est soudainement happé par une jeune fille en robe rouge qui passe près de nous.

-Tu vois, après tout ce que je viens de te confier, tu ne peux pas t’empêcher de regarder cette jeune fille ! Tu es incroyable !

Pris en flagrant délit, il bafouille, mais sans pouvoir articuler une excuse audible. J’en profite pour me lever et partir.

De retour dans la voiture, je me concentre sur la route, la circulation difficile pour sortir de Lyon et je me mets un podcast qui me raconte des histoires.

Arrivée à l’Auberge, je file dans ma chambre me changer, je saute sur mon vélo préféré et je file sur la petite boucle qui passe dans une petite forêt. Il faut que j’évacue cette tension nerveuse accumulée depuis que je me prépare pour ce face-à-face. J’attends de m’enfoncer un peu dans la forêt pour crier ! Je me sens tellement soulagée et victorieuse d’avoir réussi à lui dire ce que je voulais ! De ne pas avoir flanché quand il m’a dit que je comptais pour lui. Je sais qu’il ne va pas en rester là, qu’il va solliciter ses connaissances avocats, mais je ne vais pas attendre les bras ballants. J’ai un plan d’action !

Après le dernier sentier escarpé, je rejoins des chemins plus praticables et je me rapproche du lac où retentit un bruit d’enfer. Quel spectacle ! Le vieux monsieur à l’accent russe seul, en plein karaoké de plein air au milieu du lac sur une barque, et quatre hommes gesticulant - plus que nageant - pour aller le récupérer. Et ça le fait bien marrer le russe ! C’est communicatif ! On est plusieurs sur le bord à suivre la péripétie le sourire aux lèvres. Il est vraiment incroyable cet endroit.

Je reconnais le secrétaire du russe dans les quatre sauveteurs. Il a l’air dépité, et pas seulement par le fait d’avoir pris un bain dans cette eau qui doit être glacée. Son patron lui en fait voir de toutes les couleurs ! Aide-toi… ai-je envie de lui dire. Oh, mais de quoi je me mêle ! Après tout, je ne sais pas ce qui les lie tous les deux. J’ai déjà assez à faire avec moi-même. Allez, il est l’heure d’activer le réseau des copines. C’est la fin de l’escale, retour à bord.

Haut de page