J’aime bien ce petit carnet violet. Je l’ai emmené avec moi lors de ma promenade de dimanche soir, vers le lac, et j’ai relu mes messages. Il s’en est passé des choses en une semaine ici. Je suis contente d’être venue, même si tout cela me fatigue un peu. Par exemple en rentrant aujourd’hui de la maison d’Emilie, il y avait 3 hommes à demi nus, dont un membre du personnel avec ça, trempés, qui soutenaient plus ou moins mon voisin de chambre (ou alors c’était l’inverse), le Russe qui se fait toujours remarqué et qui riait à gorge déployée. Doux Jésus mais d’où sortaient ils ? Ils semblaient gelés mais pas très très nets. L’essentiel, c’est que j’ai pu aller à la messe hier. Toute une aventure ! Je comptais demander à l’accueil de l’auberge, et puis finalement, j’ai revu Diane samedi, et elle s’est proposée de m’emmener dimanche matin. Une chose en entraînant une autre, j’ai proposé aussi à une autre dame qui s’appelle Brigitte quelque chose. J’ai oublié son nom, ça sonne comme mes biscottes Heudebert mais ça n’est pas ça, et puis c’est gênant de redemander, les gens vont croire que la petite vieille, ça y est, elle a l’Alzheimer. Les yeux, ça va : j’avais remarqué qu’elle portait un médaillon de la vierge, ça n’était pas difficile de lui proposer de se joindre à nous. Enfin, je dis “nous”, c’est surtout moi : en fait, Diane n’est pas croyante, elle est juste très gentille et m’avoir emmené avec son auto. Elle a même poussé jusqu’à proposer à une autre dame, Irène-Aimé, que madame Biscotte a déjà vu aussi à l’office. Oh, je l’appelle Madame Biscotte dans ma tête, c’est à cause de son nom qui m’échappe… Ce n’est pas méchant, tu sais bien que je donne des petits noms dans ma tête. En fait, Irène-Aimé est assez discrète. Elle s’est jointe à nous, mais je ne sais pas si elle était timide ou morose, elle est restée un peu à l’écart. Elle a dit qu’elle était venu pour faire un point sur sa vie un peu brouillonne, mais n’est pas trop rentrée dans les détails. Pour sûr, la messe ne peut qu’aider.
Une qui a vraiment besoin d’aide, c’est mon amie Diane. Elle nous a emmené dans sa voiture, et s’est encore un peu plus livrée alors qu’elle conduisait. J’avais compris qu’il y avait un peu de tension avec son mari, mais en fait, elle pense demander le divorce. Quel catastrophe ! Avec les enfants, en plus. Je ne peux pas imaginer ça. Oh, c’est compliqué le mariage parfois, bien entendu, mais comment renoncer à ce sacrement ? C’est aussi un bonheur si fort de construire son ménage. Ta maladie m’a usée, mon Lucien, c’est vrai, mais je suis heureuse d’avoir été avec toi jusqu’au bout. Et c’est pour ça que nous restons ensemble encore maintenant. Je sais que tu es avec moi et je sais que tu es fier de ta petite femme, depuis le ciel. Je leur ai raconté ta maladie, à cause de la tannerie, et le malheur sur nous alors que tu étais si jeune encore. Une vie de labeur dont tu n’as pas vu tous les fruits, mais dans l’épreuve il y a aussi des bonheurs pourvu qu’on sache les voir, comme le dit monsieur le curé. En le racontant, j’espérais un peu que Diane verrait que même les mauvaises passes, même avec le drame à la fin, demeurent des souvenirs puissants, c’est ce qui fait la vie que le bon dieu nous a réservé.
Je ne sais pas ce qu’il lui a fait de si méchant pour qu’elle ne voit que cette solution. Mais il y a surement une voie moins brutale que le divorce ? J’ai prié pour elle, et d’ailleurs les sermons étaient très appropriés. Le curé n’était pas fameux par contre, il récitait les textes mais n’inspirait pas grand-chose. Pourtant, Matthieu 13:44-46, c’est un beau message. Il a utilisé celui du pêcheur de perles. Moi je préfère celui du champ, tu te doutes bien comme ça me parlait : Le royaume des cieux est comme un trésor caché dans un champ, l’homme qui le trouve est si heureux qu’il le cache à nouveau, vend tous ses biens et achète le champ. Avec le marchant de perle, c’est un peu la même chose. Brigitte est dans la bijouterie, j’imagine que ça lui a plus parlé forcément. Elle était tellement absorbée par la messe : je crois l’avoir vu pleurer lors du livre des rois sur le discernement. Et puis surtout, quelle voix ! J’espère qu’elle est à la chorale dans sa paroisse, car c’était magnifique. Un timbre clair, tellement précis, et plein de douceur, que ça résonnait entre les voûtes de la petite église. Quand on la regarde, qui imaginerait ? Toute frêle, un courant d’air la bousculerait, il faut qu’elle mange plus. Si j’étais à la maison, je lui préparerais mon clafoutis aux cerises, ça ne lui ferait que du bien. C’était si beau. Et tout par cœur, en plus. Je suis certaine que le curé n’en a pas eu souvent des comme ça ! Il aurait pu la féliciter à la fin mais non, il a disparu sans un mot. Piètre berger pour son troupeau, tout de même.
Heureusement, nous nous sommes retrouvées toutes les quatre à la sortie. Elle m’ont un peu attendue, j’ai traîné pour aller mettre un cierge pour Diane. Elle m’avait dit que c’était inutile, mais ça ne peut que l’aider dans sa mise à l’épreuve. J’en ai mis un second, pour son mari, d’ailleurs. C’est une affaire à deux, ils ont besoin de force l’un comme l’autre pour retrouver le trésor qui est forcément dans leur champ à eux aussi. D’ailleurs au retour, on a un peu discuté de ce sermon. Je pensais encore à Diane, mais je n’ai rien dit. Elle même était songeuse et n’a pas trop parlé au retour. Elle qui n’est pas croyante, je pensais qu’elle irait se promener pendant notre office, et bien non, elle s’est installée dans un coin, en retrait, et est restée tout le long. Elle n’a pas communié évidement, mais sans doute qu’elle a perçu des messages. Si on peut naître dans une écurie sans se croire cheval, on peut trouver des réponses à la messe sans être croyant, n’est ce pas ?
Brigitte, elle, on ne l’arrêtait plus ! Elle nous a parlé de la beauté des perles, des pierres, de leurs éclats et de leurs reflets, de leur symbolique, des assemblages précis des orfèvres, avec les différents métaux. J’étais un peu perdue : je sais reconnaître le blé de l’orge, mais surement pas un topaze d’une émeraude ! Elle était bijoutière à Dole, mais en parle au passé. Je ne sais pas pourquoi, et surement que je ne saurais jamais, car elle repart dans quelques jours. Elle, si discrète, sa parole retrouvait la chaleur de ses chants en parlant de son métier, qu’elle doit vraiment aimer et qu’elle sait faire partager : à l’écouter je n’avais qu’une envie, être dans sa boutique et faire une folie !
Allons, il est déjà 20 heures, et avec mon nouveau rythme de vie, ce n’est pas l’heure du journal de Laurent Bugier, mais c’est l’heure du dîner. Je vais peut être retrouver mes nouvelles amies au restaurant ? Elles en sauront peut être plus sur l’épisode avec ces hommes trempés sur la pelouse de l’hôtel ? Et avec un peu de chance, avoir le plat que j’avais commandé : le service reste un peu chaotique, mais finalement, c’est amusant !
1 Commentaire de notafish -
J’aime tellement cette écriture au long cours d’une dame.qui voit tout et le teinte de sa longue expérience de longue vie.
2 Commentaire de Mel'O'Dye -
alors que revoilà le clafouti …
3 Commentaire de Kozlika -
Mel, tu es sûre que c’est ce texte que tu voulais commenter ? ;-)
4 Commentaire de Garfieldd -
La confusion ne semble pourtant pas possible entre le clafoutis et les hosties…
5 Commentaire de Kozlika -
Les deux sont divins pourtant.
6 Commentaire de Esteban Biraben -
J’avais une copine qui mettais des cierges à Ste Rita pour mes exams. C’était super vexant.