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Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Il n'est pas un type - Er ist kein Typ

Chère Marie-Ange,

Comme le temps passe vite ! L’arrivée d’Anneliese m’a pris un temps fou et partagée entre elle et Akikazi je n’ai plus le temps de vous écrire. Vendredi matin en redescendant de ma chambre, elle a rencontré Éric Javot qui l’avait prise pour une journaliste. J’ai sauvé ce pauvre Éric de l’analyse politico-socio-implacable de toute son œuvre en enlevant Anneliese pour discuter, mais nous nous sommes mis d’accord pour dîner ensemble le soir-même.

Je suis passée à la réception régler le séjour d’Anneliese et demander s’il était possible de réarranger la chambre avec deux lits. Je me suis confondue en excuses pour le dérangement, Anneliese idem. Madame Lalochère, la directrice de l’auberge, m’a assuré qu’il n’y avait pas de problème. Elle m’avait donné l’impression d’être très fatiguée ces derniers temps, du coup je me sentais coupable du surcroît de travail occasionné par l’arrivée impromptue d’Anneliese. Elle a l’air d’aller un peu mieux depuis que deux nouvelles jeunes femmes sont arrivées au service. Elles ne sont pas vraiment les meilleures serveuses du monde, loin de là, mais on sent qu’elles sont là pour aider et il règne au restaurant un air de franche camaraderie.

Marie-Ange, je m’étonne moi-même de remarquer ce genre de choses. Vous rendez-vous compte ? Je ris, je souris, je pleure aussi, je m’attendris, je regarde les gens autour de moi comme autant de personnages d’un roman improbable et au lieu de chercher quelle rumeur les concerne ou d’essayer de lire entre les lignes ce qu’ils disent de moi, je remarque leurs “airs de franche camaraderie” et même les envie, au point de vouloir les reproduire. Preuve en est ce dîner convenu avec Éric Javot et Anneliese et auquel j’ai convié Akikazi.

Pour vous qui suivez mon histoire quasi au jour le jour, vous n’avez peut-être pas remarqué qu’Akikazi et moi vivons des journées bien séparées. Nous ne nous étions pas encore montrés ensemble à l’auberge. Je me doute que certaines personnes nous ont probablement repérés, mais nous asseoir à la même table est un pas que nous n’avions pas franchi au-delà de ce premier petit déjeuner au lendemain du 14 juillet. Vous conviendrez que c’est un peu ridicule. Si ma vie s’étale dans les journaux, même si ce n’est pas la vérité, autant que je l’assume dans la réalité.


Assumer. Tout un programme. Que j’ai commencé lors de ma discussion avec Anneliese. Qui, comme à son habitude, n’y alla pas par quatre chemins.

— Maman, qui est ce type qui était dans votre lit ?

— Alors d’abord, je ne suis pas certaine de vouloir avoir cette conversation avec toi Anneliese, tu es ma fille, pas ma confidente. Mais puisque nous y sommes : il n’est pas un “type”, mais un homme. Il s’appelle Akikazi et nous sommes amants.

Anneliese manqua s’étrangler avec son café lorsqu’elle entendit le mot amant.

— Je n’arrive pas à croire que nous sommes en train d’avoir cette conversation. Ma mère a un amant.

— Oui. Et ?

— Et ? Et ! Vous me demandez ? Après tout le temps qu’il vous a fallu pour même imaginer le divorce ! Après les heures qu’Alrich et moi avons passé à essayer de vous convaincre que cette situation avec papa ne pouvait plus durer, voilà que vous passez quinze jours au bout du monde dans le Jura et que vous prenez un amant. Japonais qui plus est !

— Il n’est pas japonais, il est suisse.

— Peu importe, il a l’air japonais. Éric Javot, à la limite, aurait coché quelques-unes des cases logiques si je m’étais seulement imaginé “l’amant de maman”, ce que, soit dit en passant, j’aurais déjà eu du mal à faire ! Mais là, je n’en reviens pas.

Je ne répondis pas. Je dois vous avouer Marie-Ange, que je pense la même chose qu’elle. Akikazi ne coche aucune des cases de l’amant que je m’étais imaginé, même pas celle de notre différence de taille (parce que oui, je me suis imaginé plusieurs fois avoir un amant, et il était, entre autres choses, très grand).

Anneliese reprit :

— Il fait quoi dans la vie ?

— Il est agent d’assurances.

Elle me regarda de biais.

— Après le gynécologue et le trainer personnel, je pense qu’on est au summum du cliché des amants, là, juste avant l’homme à tout faire, que l’on voit torse nu dans le jardin.

Je fronçai les sourcils.

— Un peu de respect je te prie ! Tu parles d’une personne qui m’est devenue chère et je ne te permets pas !

Elle me regarda, l’air contrit puis baissa les yeux.

— Je vous demande pardon. Elle releva la tête, planta ses yeux dans les miens, avec je crois une lueur d’espoir au bord de la pupille.

— Vous l’aimez ?

— Je ne souhaite pas répondre à cette question. Je crois que cette conversation est terminée pour l’instant. J’ai besoin de réfléchir à ce que veut dire ta présence ici, que je n’avais pas prévue, je te rappelle.

— Je comprends. Maman ?

— Oui ?

— Vous êtes radieuse. Cela vous va tellement bien.

Je ne pus m’empêcher de sourire et peut-être de rougir un peu. Je choisis de ne pas répondre et d’enchaîner :

— On se voit ce soir pour le dîner ?

— D’accord. Je vais aller découvrir les environs.

Je lui indiquai quelques promenades à faire autour du lac et nous nous quittâmes quelques minutes plus tard.


Radieuse. Marie-Ange, je crois bien que je le suis. Je ne suis même pas certaine de l’avoir jamais été de la sorte. Je me découvre et étonnamment, moi qui me suis demandé pendant des années d’où Anneliese tenait son caractère si indépendant, et avoir cru que cela ne pouvait venir que d’Armin, je me demande s’il se pourrait qu’elle tienne de moi, finalement. Ou ai-je tout appris d’elle ?

Mais me voilà encore une fois arrivée au bout de la deuxième feuille. Je parle, je parle… J’arrête ici pour aujourd’hui et vous raconte notre dîner à quatre et la suite des événements demain.

En attendant, je vous envoie en guise d’interlude toute mon amitié.

A-K. v. A.

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