J’ai cassé ma retraite silencieuse hier soir, et j’ai dû saouler Antoinette ! Comme ça m’a fait du bien ! Je n’en suis pas revenue quand elle m’a proposé de dîner avec elle. C’était quand je l’ai croisée alors que j’allais poster mes lettres le cœur lourd. Elle a peut-être eu pitié de moi. Tant pis et tant mieux, ça m’a valu une bonne soirée.
Elle est incroyable cette Antoinette ! Elle a un regard vif, amusé. Je lui ai raconté ma vie, les filles, moi maintenant, si loin de l’image que je me faisais de ma projection de vie à 40 ans quand j’étais étudiante. Elle s’est montrée très attentive et à l’écoute, mais j’ai perçu qu’elle n’en pensait pas moins. Madame la Dévouée se méfie d’Antoinette, mais l’Aventurière l’adore déjà ! Elle a perdu son mari récemment, mais n’a rien de la veuve éplorée, j’admire son allure. Sa chevelure toute blanche fait ressortir son regard pétillant, elle a l’air de ne pas tenir en place. Je me demandais ce qui l’avait amenée à séjourner ici, elle m’a révélé que ce n’était pas son choix, mais ses enfants qui lui avaient fait la surprise de lui offrir ce séjour. Et son cœur de citadine a peur de battre au ralenti ici. J’espère lui apporter un peu de distraction, et je lui ai dit qu’elle en trouverait sûrement d’autres.
A commencer par les deux nouvelles recrues au service depuis deux soirs. On sent qu’elles ne sont pas du métier. Elles ne prétendent pas l’être, donc on accepte volontiers les erreurs d’adressage des commandes et les plateaux bringuebalants ! L’Aubergiste n’a pas l’air en forme ces derniers jours, je crois comprendre que ces deux demoiselles sont venues en renfort. On ne peut que les saluer pour leur solidarité.
Cela vient renforcer ce sentiment étrange que je ressens ici : je m’y sens particulièrement bien, alors que jusqu’à hier soir, je n’avais parlé à personne. Mais au cours des différentes représentations du ballet des pensionnaires que j’aime à regarder, je perçois de la connivence, des regards complices. J’ai même vu ma petite voisine marseillaise rentrer d’une balade à vélo avec un autre résident qui la regardait comme un père. C’est la proximité de la montagne qui fait ça ? Ou bien c’est la cuisinière qui est douée pour transmettre ses émotions dans ses plats, comme la fille de Agua para chocolate d’Isabel Allende ? Il y en a deux qui sont particulièrement réceptifs à cette cuisine, c’est ma voisine de balcon et mon voisin de palier. On ne les voit pas souvent ensemble, mais leurs regards en disent long ! Je les envie un peu, je crois, de pouvoir vivre de nouveau les frissons des débuts d’une relation.
Maintenant que j’ai retrouvé la parole, je ne compte plus la perdre. Ce matin, je suis allée saluer la petite mamie que j’avais surprise à me regarder l’autre jour au petit déjeuner. Elle n’a pas ses yeux dans sa poche, et je suis sûre qu’elle s’adonne au même jeu que moi d’observation des pensionnaires. Ce serait drôle de partager ce moment de fin de journée avec elle et voir si on a les mêmes impressions.
Bon arrêtons de tourner autour du pot, on a un petit problème à régler ici : on va dire quoi à Pierre lundi ? Ah, tiens, Mme Pragmatique ! Je l’avais oubliée celle-ci ! Bienvenue à bord.
« Attends, je vais t’aider, se propose l’Aventurière. On ne va pas laisser la Dévouée prendre le pas cette fois, sinon, on risque de repartir en train avec lui ! Alors, qu’est-ce qu’on lui dit ?
1) Je n’ai pas aimé que tu ne me consultes pas. Pourquoi ? Aventurière : on se pose vraiment la question ? Parce que je suis réduite au même statut que les meubles. C’est très révélateur de la façon dont tu me considères. Ok, bon début, voyons la suite
2) Je n’ai pas envie de te suivre. Ma vie de femme au foyer ici est déjà assez limitée par rapport à la vie que je m’étais promise lorsque j’étais étudiante. Alors expatriée, ce sera pour moi insupportable. oui, bien
3) Je n’ai pas envie de te suivre, et ça ne me provoque aucun chagrin. Carrément ! Tu vas jusque-là ! Je te suis, ok. Là, la Dévouée s’en mêle :
- Je me permets d’intervenir : tu y vas un peu fort sur ce coup-là ! Tu vas le blesser. L’Aventurière la coupe :
- On est vraiment sûres de ça ? Que son ego en prenne un coup, oui, mais il ne devrait pas tomber de sa chaise non plus. Ça va peut-être l’arranger, même ! Maintenant, il faut qu’on se prépare à l’attaque sur la garde des filles. Il serait capable de la réclamer.
-Ah non ! panique à bord chez la Dévouée. Pas les filles !
-Évidemment pas les filles ! Mais il faut anticiper le pire. Soyons sûres de nous. Genre : « Non, mais tu es incapable de t’en occuper tout seul ! Si c’est pour les faire garder par une bonne locale, aucun juge ne t’accordera la garde. »
Mais en fait, je n’en sais rien du tout ! Il risque de s’en servir comme argument pour m’obliger à le suivre ! Ça lui éviterait de payer une bonniche sur place. La panique monte, les larmes avec. Je me sens tellement démunie.
Il faut que je me vide la tête, je vais faire mon tour en vélo. Maintenant que j’ai repéré la route jusqu’au village je n’ai plus d’excuse pour ne pas la tenter en vélo. Ça va grimper au retour, mais il faut que j’élimine le fondant au chocolat d’hier soir…
1 Commentaire de Sacrip'Anne -
Diane et ses mini Moi feraient peut-être bien de prendre conseil dès maintenant auprès d’un(e) avocat(e) non ?
2 Commentaire de Lilou -
Je rejoints Sacrip-Anne dans le conseil, ne parles pas avant d’en avoir vu un. Et saute dans ta nouvelle vie le cœur léger.