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Jeanne Monfreau

Chambre 15

L'oiseau fait son lit

J’ai eu une belle après midi, lundi. Inès était toute contente, elle m’a montré son vélo tout neuf… mais déjà bien sale. Ca montre qu’elle l’utilise, évidement, mais je lui ai rappelé qu’il faut bien le nettoyer pour qu’il dure. Elle est un peu jeune pour se rendre compte, mais les bonnes habitudes se prennent tôt. Je suis contente de découvrir cette maison du Jura dont Emilie me parlait si souvent et où ils viennent presque tous les étés. Inès a l’air de beaucoup aimer aussi. Elle m’a fait la visite en long, en large, en travers, du sol au plafond, un vrai tourbillon ! La petite vieille que je suis était épuisée après ça, je n’ai presque pas eu le temps de m’asseoir, sauf le temps du goûter. Je ne sais pas si c’était exceptionnel pour ma venue, mais Emilie avait fait un gâteau. Je n’ai pas trop mangé, à cause du sucre. Je pensais revenir dîner à l’auberge, et puis finalement, je suis restée là bas pour le dîner. Avec les enfants, ce n’est pas trop tard, en tout cas pas pire que l’horaire du restaurant de l’auberge. Emilie m’a ramené ensuite. J’étais absolument épuisée ! Nul besoin de prier Saint Joseph pour m’endormir, moi qui d’ordinaire ne dort quasiment pas !

Sinon, je prends mon rythme, ici. Je me lève, et puis comme chez moi, je range tout bien, je fais soigneusement le lit. Je crois que normalement, quelqu’un vient le faire pendant la journée si je ne le fais pas, mais je ne vois pas tellement l’intérêt. Quel genre de personne ne fait pas son lit le matin ? “Comme on fait son lit, on se couche”, c’est pourtant simple ! Après cela, je fais ma prière au bon dieu, et puis je me prépare pour descendre au petit déjeuner. C’est que je ne suis pas chez moi, je ne vais pas arriver auprès des autres pensionnaires toute échevelée. Oh, je ne suis plus bien jolie, avec mes varices et mes kilos en trop, mais ce n’est pas une raison pour se laisser aller ! Je me coiffe, un peu de noir sous les yeux et de poudre pour cacher ma vieille peau, ce n’est pas grand-chose tout de même. Ensuite je range bien la petite salle de bain, et hop, je descends ! C’est d’ailleurs bien pratique ces ascenseurs… J’ai eu peu peur de rester coincée dedans mais quel confort pour mes vieilles jambes !

J’ai revu au petit déjeuner cette dame, toujours seule. Elle prenait tout son temps à beurrer ses tartines avec un soin de maniaque. Surement qu’elle n’a que ça à faire de sa vie peut être ? J’ai du mal à l’imaginer vieille fille, mais alors où est son mari ? Peut être qu’elle est séparée, et c’est pour ça qu’elle est ici seule. Quelle tristesse, à son âge. Elle est jolie pourtant, je suis certaine qu’elle pourrait se trouver un homme très convenable facilement. Ou alors son mari est absent à cause du travail ? Elle devrait se méfier, alors : “Jamais l’absent n’est innocent”, je me souviens bien de ma maman qui disait ça, souvent. Il faut dire qu’avec mon père, elle savait de quoi elle parlait, la pauvre. A force de la regarder, je crois qu’elle m’a repérée. Monsieur le curé dirait encore que je suis trop curieuse. Oh, lui, alors, il est mal placé en plus. Et puis si le bon dieu nous a fait des yeux c’est bien pour les user !

Je crois que j’ai repéré aussi une nouvelle pensionnaire dont la chambre doit être proche de la mienne, en tout cas au second étage. Une petite demoiselle très jolie, mais vraiment petite et bien charpentée, avec un petit chignon bien serré. Elle me fait penser à moi dans ma jeunesse, quand j’étais bonne à tout faire, pour ne pas dire homme à tout faire exploité par ses patrons. Je ne sais pas si elle soulève autant de sac de charbon que ce que je faisais, mais elle en as les muscles. Mais bon. Pas des bons souvenirs, mais elle m’y fait penser. Allez, je vais aller faire un tour dans le parc avant le dîner.

Demain, Emilie vient me chercher dans la matinée, je passe la journée avec eux, je ne reviendrais que pour le diner.

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