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Diane

Chambre 2

Des nouvelles du large

C’est le moment de sortir mon beau nécessaire de correspondance indigo acheté avant de partir dans la papeterie de mon quartier. Je tiens bon avec le téléphone, il reste dans sa prison dans l’armoire de la chambre. Il faudra que je me renseigne si je ne peux pas le faire garder à l’accueil de l’Auberge, je sens que je deviens fragile. Il ne faut pas que je consulte mes messages d’ici la fin du séjour. Cela pourrait mettre en péril ma démarche et Pierre aurait gagné. Donc j’écris :

Mes bichettes,

Vous me manquez énormément et je pense fort à vous. Vous devez vous dire “alors pourquoi t’es partie ?”

Je vais bientôt revenir. J’espère que vous me comprendrez - peut-être pas aujourd’hui - et que vous ne m’en voudrez pas de ne pas donner de nouvelles, de ne pas vous parler au téléphone. J’ai besoin de réfléchir pour prendre une décision qui vous concerne aussi. Pour cela, je dois m’isoler dans un lieu différent de celui de la maison, sans vous autour. Vos rires, vos larmes et vos câlins pourraient perturber le sens de mes réflexions. Et ce n’est pas facile de les mener ces réflexions !

Heureusement, l’endroit où je séjourne est magnifique. J’aimerais tellement que vous soyez à mes côtés lors de mes balades. Peut-être aurai-je l’occasion de revenir avec vous.

Ma chambre donne sur un lac qui est pourvu d’une petite plage. Tous les jours je fais une courte balade en vélo. Je ne me suis pas encore aventurée jusqu’au village car j’ai un peu peur de me perdre, et je n’ai pas mon téléphone pour m’indiquer le chemin à suivre. Tous les jours, je vais un peu plus loin, j’élabore mon propre plan des environs.

L’auberge est quasi pleine, je ne pensais pas trouver autant de monde en venant ici. Je croise tous les jours des visages qui deviennent familiers, mais je n’ai encore parlé à personne. Je suis trop occupée à réfléchir à ce que je vais faire quand je vous retrouverai. Je dis encore, car vous me connaissez, je ne pourrai pas continuer à rester silencieuse pendant encore deux semaines! Déjà, en vous écrivant cette lettre, j’ai l’impression de discuter avec quelqu’un!

J’espère que vous vous amusez bien et que vous ne fatiguez pas trop vos grands-parents. Les deux prochaines semaines vont vite passer, on va se retrouver très bientôt et nous ferons plein de choses ensemble.

Je vous embrasse comme je vous aime.

Maman


Cher Pierre,

D’après mes calculs, tu dois être fraîchement arrivé d’un de tes nombreux allers-retours entre chez nous et ce que tu penses être notre futur chez-nous. Tu peux donc constater que je me suis tenue à ce que je t’avais dit : je ne suis pas à la maison et les filles sont chez mes parents. Je ne consulte toujours pas mon portable. J’ai communiqué les coordonnées de l’endroit où je séjourne à mes parents, en cas d’urgence. Je leur ai indiqué que tu ne constituais pas une urgence, à moins qu’il ne t’arrive quelque chose et que ton pronostic vital soit engagé.

Je ne digère toujours pas ta décision de nous expatrier sans m’avoir consultée au préalable. Cependant, passé le temps de la colère et de l’incompréhension, je dois avancer et envisager la suite. Contrairement à toi, je souhaiterais en discuter ensemble. Non pas pour te demander ton avis, mais pour partager avec toi mes réflexions et mes hypothèses, de façon à ce que toi, tu aies le temps de les intégrer. Je te demande de me rejoindre lundi prochain à Lyon Perrache, au café au bout de la place Carnot, à 16h.

Si tu viens, ne cherche pas à me convaincre et à me faire culpabiliser, mais viens juste pour écouter ce que j’ai à te dire. Tu pourras bien sûr partager tes réflexions également, tant que c’est en respectant la règle inscrite plus haut.

Je vais bien. L’endroit où je séjourne est charmant, sur plusieurs aspects. Je ne sais pas s’il te plairait.

A lundi,

Je t’embrasse

Diane


J’aurais dû inverser l’ordre de rédaction de ces lettres. J’ai envie de pleurer. Je me sens vidée de toute l’énergie que j’ai dédiée à cette lettre à Pierre. Faire attention à chaque mot employé, à la tournure, à l’interprétation qui pourrait en être faite, connaissant le destinataire. Ou croyant le connaître. Je ne sais plus où j’en suis. Je pleure vraiment maintenant. Depuis que je suis partie, je n’avais pas laissé les larmes se déverser. J’accueille ces pleurs avec soulagement : je trouvais anormal qu’il en soit autrement. Heureusement, aucune mini-Moi ne vient perturber ce moment de laisser-aller. Aucun autre bruit que mes sanglots, ma respiration chaotique, mes reniflements, les gouttes d’eau salée qui viennent s’écraser sur mon cahier et diluer le bleu de l’encre.

La source s’est tarie. Je me lève et vais vérifier dans la salle de bain la nuance de rouge dans mes yeux gonflés. Je me passe un peu d’eau sur le visage. Allez, maintenant, on passe à la suite. Il faut aller déposer ces lettres dans une boîte jaune du village, sans réfléchir, avant la levée du courrier de demain. Après, je m’offrirai le petit luxe d’une menthe à l’eau en terrasse avant de retrouver l’Auberge et ses occupants que je vais tenter de mieux connaître.

Je sens la brise marine se lever, hissez haut les voiles !

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