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Joseph Midaloff

Chambre 6

Faut dire qu'elle y mettait du cœur

Salut ma Douce,

J’ai tenu ma promesse à Natou et toi, je l’ai emmenée faire du vélo hier. Franchement je m’étais dit que ça serait un genre de bonne action mais en fait je me suis ré-ga-lé.

C’est elle qui m’a rappelé qu’on avait parlé de ça au bal quand je suis rentré hier du boulot. Je l’ai croisée et elle m’a demandé si je n’avais pas oublié. La sieste c’est sacré quand on se lève à l’heure de Dutronc mais je lui ai proposé qu’on se retrouve après et j’ai réservé des vélos à la réception avant de monter.

À l’heure dite elle m’attendait, toute pimpante, un foulard noué dans les cheveux façon 50, près d’un joli vélo rouge[1] qu’on a réglé à sa taille. Elle avait bien tort de se faire du mouron, en moins de 100 mètres elle avait retrouvé ses aises et pédalait comme une dératée sur le chemin. Elle ne s’était pas rendue compte que j’avais lâché son vélo depuis un moment déjà. Ça lui a donné des ailes et elle a proposé qu’on aille à Pollox. J’ai dit oui, bien sûr !

Elle hurlait de joie sur la route. « T’as vu Jojoff ?, elle me demandait tous les 50 mètres, je suis une aventurière ! » Ça me collait la banane, pareil qu’avec Céline et Virginie quand elles avaient lâché les petites roues pour la première fois. Je te jure, j’étais fier comme un petit banc. Quel couillon je fais des fois.

Arrivés au Café des Sapins on s’est installés en terrasse pour boire un verre. Pour un peu je lui aurais commandé un jus d’orange sans lui demander son avis tellement j’étais en mode Papajoff. Il était un peu tôt pour un petit jaune alors j’ai pris une bière.

On a bavardé : elle m’a parlé de son père, un Italien, qui lui avait appris à faire du vélo quand elle était petite et elle n’en avait pas refait depuis. Il est mort dans une fusillade quand elle était gamine, t’imagines l’horreur ? Et sa mère, tu vas pas le croire, mais elle est d’origine russe, je te jure ! Déjà que je l’avais à la bonne, son papa mort salement, sa maman russe, les merdes qu’elle a écopées dans sa vie qu’on devine quand elle raconte, ça m’a touché encore plus. Qu’elle ait une telle joie de vivre malgré tout ça, j’ai trouvé ça fort et je lui ai dit. J’espère qu’elle m’a cru parce que je disais pas ça pour lui faire plaisir, je le pense vraiment.

Tant qu’on était en ambiance confidences, je lui ai un peu raconté pour moi, les Orphelins Apprentis d’Auteuil, la formation de roto, et comment ton père et la famille qu’on forme tous au boulot sont importants pour moi, qu’avec ça t’es forcément loyal, même quand des fois t’es pas très sûr. Enfin tu sais tout ça on en a déjà parlé mille fois.

Elle a dû sentir que son Toni me plaisait moyennement alors elle a voulu m’expliquer comment il était si gentil en vrai. Je vais te dire : à ce moment-là, de voir qu’elle se sentait obligée de se justifier d’être avec ce type, ça m’a emmerdé.

« C’est toi qui sais Natou », je lui ai dit. « Tu sais, j’habite à Stains depuis toujours et quand je vois comment on parle de nous à la télé, comment ils s’imaginent qu’on est, ou pire comment ils imaginent les gens des cités à Stains ou ailleurs, je suis vert de rage et j’ai envie de prendre la télé et la jeter par la fenêtre tellement ça m’énerve. Moi ton Toni j’ai dû le croiser trois fois en tout et on s’est un peu chamaillés au bal. Il y a des trucs qui me semblent pas d’aplomb chez lui, mais je le connais pas mieux que la télé me connaît. Si tu dis que c’est un type bien, ben c’est un type bien, faut faire confiance à ton instinct. Faut pas m’en vouloir, je te prends un peu pour ma gamine. Vaudrait mieux pas, si ça se trouve en plus de mes origines russes j’ai des origines corses avec la carabine qui me démange, va savoir ! »

On a rigolé. Je te fais dialogue là, mais c’est pour l’idée, c’était sûrement pas tous ces mots dans cet ordre, j’écris pas si bien que toi, je suis un bleu dans la confrérie des écrivains.

Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas m’en vouloir de bien l’aimer. Je l’ai crue parce qu’on a même décidé de se programmer une sortie pêche ! Je veux pas faire ma violette mais ça me donne chaud au cœur qu’elle veuille faire avec moi des trucs qu’elle faisait avec son père.

C’est peut-être à cause de ça qu’une fois arrivés à l’auberge, avant de se quitter, je lui ai dit que au cas où, si jamais elle sentait une couille dans le potage ou qu’elle avait l’impression que son Toni n’était plus si gentil, ce qui sûrement n’arriverait pas, ma porte était pas loin, à n’importe quelle heure.

Ma pauvre Julie, ton grand dadais n’est toujours pas grand et toujours aussi dadais je crois bien ! Pauvre gamine qui voulait juste faire un tour de vélo et qui se retrouve avec une vieille guimauve sur le dos. Je sais pas ce qu’ils mettent dans la bouffe ici.

Je t’embrasse tout partout,

Ton Jojoff

PS. À propos de bouffe, Henri (tu te souviens de lui ?) va s’occuper de me trouver un barbecue !

Note

[1] Le vélo idéal pour mon pote Igor, hé hé.

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