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Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Des chevaux entre les cuisses - Reiten auf zwei Rädern

Chère Marie-Ange,

Je me rends compte que bien que je ne vous aie pas envoyé la dernière lettre que je vous ai écrite, il va bien falloir que je vous raconte ce qui m’arrive.

Vous souvenez-vous de cet homme Akikazi Takenaka, dont je vous ai parlé le 14 juillet. Eh bien, lui et moi sommes maintenant dans une relation… “charnelle” est le mot qui s’approche le plus de ce que je vis. Me voilà toute rouge rien qu’en évoquant cette relation naissante et pourtant déjà bien avancée. Comme il est loin le temps où l’on se “préservait” pour l’homme élu. Marie-Ange, personne ne le sait (à part probablement les hôtes de l’auberge, qui ne sont pas aveugles) donc je vous remercie de ne pas le mentionner à qui que ce soit. Je vis quelque chose d’assez bouleversant. Je vous raconterai de vive voix quand nous nous reverrons.

Dimanche soir, Akikazi a partagé son secret avec moi, je vous avais promis de vous en parler. Je l’ai rejoint dans sa chambre en fin de soirée et nous nous sommes installés sur son balcon. Au creux de la nuit, j’ai pu assister à une scène magnifique. Une renarde et ses renardeaux à la robe feu rendent visite tous les soirs à l’auberge. Pouvoir assister à de tels miracles de la nature est un émerveillement dont je ne me lasse pas.

Cette relation est complètement improbable. Akikazi et moi avons discuté plus avant et il aime Kubrick que je n’ai jamais vraiment compris (j’ai en tête les yeux fous de l’affiche d’Orange mécanique qui ne m’ont jamais donné envie). Il a aussi mentionné Eyes Wide Shut don’t j’avais comme tout le monde entendu parler, puisque c’était le dernier film de Kubrick. Il semblerait que le film soit basé sur une histoire des années vingt écrite par un Autrichien, et qui se passe à Vienne ! De ce qu’il m’en a dit, cela ne m’étonne pas, dépravation, fantasmes et adultères, le tableau est complet. Mais l’entendre en parler fait son petit effet…


Puisque je suis dans le cinéma, vous ai-je raconté que le réalisateur Éric Javot est à l’auberge ? Hier après-midi lundi, nous nous sommes retrouvés tous les deux dans la véranda au moment du thé ; il m’a du coup invitée à prendre un thé avec lui. Nous avons discuté de tout et rien. Il m’a raconté qu’il avait découvert un nouveau talent et qu’il se sentait inspiré, je lui ai raconté que je passais du temps ici pour me ressourcer et fait comprendre que j’avais aussi ici en quelque sorte trouvé l’inspiration. Je ne me suis pas attardée sur les vraies raisons de mon séjour. Je me demande s’il n’avait pas quelque chose à voir avec la jeune femme qui se cachait tout le temps derrière ses lunettes de soleil.

C’est un homme franchement agréable, ce que je n’aurais pas imaginé de par les excentricités que les journaux relatent. On entrevoit son côté poète quand il parle de son travail et je n’ai aucun mal à l’imaginer criant “action !” comme dans les films. De fil en aiguille, nous en sommes arrivés à parler d’équitation et du pauvre cheval fatigué de la ferme des Adrets. Il enfourche plus volontiers sa moto que des canassons (ce sont ses paroles, j’ai dû lui demander d’expliquer ce mot que je ne connaissais pas). Je lui ai demandé si la Harley Davidson que j’ai aperçue au garage était la sienne et en plaisantant il m’en a vanté les chevaux. J’ai fini par lui demander s’il voulait bien m’emmener faire un tour.

Marie-Ange, le croirez-vous ? Moi, A-K. v. A., ai demandé à un réalisateur excentrique s’il voulait bien m’emmener faire un tour en Harley Davidson. Il a dit oui et a proposé une balade vers Pollox. Nous voilà donc partis faire un tour en moto (en moto !) sur les petites routes. Ciel bleu, prairies de fauche si typiques du Jura, aux pissenlits jaunes et ombellifères ou raiponces violettes, asphalte noire. Contrairement à toutes mes attentes, j’ai vraiment apprecié. Bien sûr il y a le bruit, mais certaines des sensations rappellent la puissance des chevaux. Nous sommes allés jusqu’à Pollox, avons fait un peu de lèche-vitrine ensemble. Au milieu des magasins attrape-touristes dont nous nous sommes gentiment moqués j’ai d’ailleurs repéré une boutique d’artisanat local qui m’a fait penser à la boutique de Marieke à Bordeaux, dont le nom m’échappe. J’y retournerai non accompagnée pour voir si j’y trouve mon bonheur. J’aimerais bien rapporter quelques souvenirs un peu chics et locaux à Vienne.

Éric Javot et moi avons donc passé quelques heures fort sympathiques. Comme quoi, il ne faut pas toujours croire ce qu’on lit dans les journaux. Sauf bien sûr quand il s’agit d’Armin.


Après le dîner, Akikazi est venu me rejoindre. J’avais oublié combien les premières fois sont belles et tendres et attentionnées. Nous continuons à nous découvrir. Marie-Ange, vous qui avez vécu avec moi mes plus libres années, vous êtes bien la seule au monde à qui je peux avouer combien mon corps n’est jamais rassasié. Ce matin encore à l’aurore nous nous sommes aimés. Il existe un monde où je souhaiterais crier cette relation sur tous les toits. Comble de l’ironie, je suis certaine qu’Armin en serait sans doute vert de jalousie.

Ah ! “Indigo d’eau” ! C’est le nom de la boutique de Marieke à Bordeaux.

Je vous embrasse avec la force de toute mon amitié. Vous écrire ces lettres est vraiment salutaire…

A-K. v. A.

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