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Irène-Aimée de Lavernhe

Chambre 20

Adèle

J’ai eu un peu de mal à me remettre du 14 juillet. Je ne sais pas s’il a fait trop chaud ce jour-là ou si je suis restée trop longtemps dans la foule, mais toujours est-il que j’ai dormi comme un loir les deux jours suivants. Je n’ai vraiment émergé le 15 juillet que pour donner quelques nouvelles à la famille par Whatsapp, en ajoutant qu’il y avait du beau monde à l’auberge, et notamment Eric Javot, qu’Adèle m’avait bien volontiers désigné le soir du bal. Maman en a profité pour me rappeler que j’étais venue dans le Jura pour réfléchir à mon avenir. Je n’avais pas oublié. Quand j’ai émergé dans la journée de jeudi, les mails que Lucille m’avaient promis étaient arrivés. Ils contenaient les liens vers les filières de préparation de concours dont nous avions parlé. J’ai aussitôt fait suivre le message aux parents pour leur montrer que je gardais un œil sur mon objectif initial. La brève approbation parentale n’a pas tardé à suivre. Jusqu’au week-end, presque rien n’est venu troubler ma quiétude, excepté un message de Claire-Ad’. Mon cher frère François-Xavier – Fix pour tout le monde, sauf ceux qui l’ont affublé ce double prénom – tourne, paraît-il, autour d’une charmante demoiselle nommée Clélie actuellement un stage dans la presse people, qui cherche à tout prix à se faire embaucher à coups de scoops juteux. Fix était donc ravi d’attirer l’attention de Clélie en lui indiquant où se cachait Eric Javot, et Clélie était tout aussi ravie d’apporter à son chef une telle exclusivité. Ni Fix ni Claire-Ad’ n’ont soufflé mot de tout cela aux parents, mais Fix a chargé Claire-Ad’ de me demander de les tenir au courant des suites de l’arrivée des paparazzis autour de l’auberge.

Une qui n’avait pas oublié notre discussion du soir du 14 juillet, c’est Adèle. Le samedi après-midi, juste après le repas, elle a déboulé dans ma chambre, en prenant la précaution de frapper avant, pour examiner les cartons que j’avais promis de lui montrer. Heureusement, j’avais mis les liasses de papiers dans un coin moins visible du petit bureau, en ne laissant en évidence que les albums photos. Bien m’en a pris : la demoiselle s’est ruée dessus. « Je suis passionnée d’histoire », a-t-elle clamé. Justement, moi aussi, Adèle. Et j’en ai profité pour lui parler un peu des archives et de la conservation des documents anciens. « On va vraiment voir des photos qui ont presque deux cent ans ? – Oui, si tu les manipules avec beaucoup d’attention. » La boule d’énergie s’est calmée d’un coup, s’est concentrée, et nous nous sommes plongées dans les photos de famille. Après une grosse heure à admirer des nobles dames du dix-neuvième siècle et des enfants au sourire un peu crispé qui avaient dû poser trop longtemps à leur goût, Adèle a voulu que je lui parle de ma famille. J’ai tenté une diversion. « Je ne sais pas grand-chose », ai-je bredouillé. « C’est pour que j’en sache plus que ma tante m’a prêté ces cartons. » La gamine est redevenue sérieuse. « Chez nous aussi, il y a des secrets. Maman a appris des choses sur son grand-père qu’elle ne savait pas, et je sens que ça la tourmente. Elle me parle souvent de son papi syndicaliste, et la mère de Malia le connaissait. » Je n’ai pas su quoi répondre. Ces dernières semaines m’ont appris à quel point il était dur de découvrir des faces cachées de personnes ou de familles qu’on idéalisait. La conversation est partie là-dessus : faut-il tout savoir de nos familles, ou bien vaut-il mieux ne pas découvrir certains secrets ? J’ai eu confirmation que la vivacité d’Adèle n’a d’égale que sa maturité, et qu’elle comprend très bien les enjeux qu’il y a derrière les révélations de Malia.

Les cartons avaient-ils plu à Adèle ? J’avais peur de l’avoir déçue en ne lui parlant pas de toute ma famille, en ne lui montrant que certains albums. Elle n’est pas revenue à la charge le reste du week-end, mais elle ne m’évitait pas pour autant, me souriant et me faisant signe dans les couloirs de l’auberge. Et puis, ce matin, après le petit-déjeuner, on a frappé à ma porte. C’était Adèle, tout excitée. « Irène, peux-tu ressortir le petit album à la couverture bleue ? Le vieux avec un accent russe, celui qui a fait du bazar hier soir, je suis sure de l’avoir vu, ou d’avoir vu quelqu’un qui lui ressemble, sur les photos à la montagne. »

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