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Jeanne Lalochère

l’aubergiste

Briser menu

Je pense qu’Henri citerait son film préféré :

La vérité m’oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les briser menu !

Ce qui tomberait d’autant mieux qu’il s’appelle justement Antoine, le client de la chambre 4. En rentrant de chez Gaston, Lucien m’avait raconté l’incident de la veille. Comme il semblait que ce soit plutôt à ranger à la rubrique couples explosifs que maltraitance, j’avais laissé filer, mais hier matin, en faisant leur chambre, j’ai vu que l’abat-jour de la lampe de bureau était cabossé, ce à quoi je n’avais pas fait attention jusque-là car la partie abîmée était, comme c’est étrange, tournée contre le mur. Ça m’a poussée à examiner les lieux avec plus de soin et j’ai vu que la porte du placard portait des traces d’impact et que la peinture était “griffée” près de la porte.

Ça m’a mise en rogne et la fatigue n’aide pas. En trois jours tous les bienfaits de la soirée de vendredi s’étaient évaporés dans un magma de tracas à régler. La perspective de la visite de Marco la semaine prochaine pour regarder mon joli combi ne me réjouit même plus, je n’aurai probablement pas le temps de profiter de sa compagnie au-delà du temps d’un café.

Côté clients, il y a le vieux monsieur qui perd la boule et se balade dans la forêt en tenue d’Adam, la Natou et son Toni, donc, et puis Adèle m’a dit tout à l’heure qu’elle avait vu un client (ou une cliente, « je suis pas une rapporteuse, je te dirai pas qui ») se balader au troisième étage en ouvrant ou essayant d’ouvrir toutes les portes.

Côté fournisseurs, la blanchisserie s’est plantée deux fois cette semaine en oubliant les pressings des clients, obligeant Gaston à retourner les chercher lui-même.

Côté personnel, la facette Manager de La Défense de Denis m’amusait au début mais là il commence à m’agacer prodigieusement à passer tout son temps à faire des tableaux complètement inutiles et ne pratiquement plus venir aider ni au service ni aux chambres. Je suis à deux doigts de le renvoyer à ses chers open-spaces. Léandre et Lisa ne sont plus là, Mme Danchin est impeccable de professionnalisme mais ne vient que ponctuellement. Même Henri s’est rendu compte que j’étais au bout du rouleau et m’a proposé de donner un coup de main aux repas du soir, c’est dire : s’il en vient à envisager de travailler plus c’est que je ne fais plus guère illusion sur mon état.

Je prie Dieu et ses saints, moi l’athée, que Paul Dindon accepte ma proposition, il devrait me donner des nouvelles aujourd’hui ou demain. Ça ne serait pas suffisant mais me soulagerait déjà un peu.

L’Antoine est arrivé à point nommé prendre son petit déjeuner alors que j’étais près d’imploser. Une explosion fait moins de dégâts.

« Bonjour, thé ou café ?

— Du café, comme d’habitude s’il vous plaît. »

Ce qui me plairait ce serait de te renverser la cafetière sur la tête.

« Voilà. Puisque vous êtes là, j’aimerais vous parler des dégâts que vous avez causé dans votre chambre.

— Des dégâts ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler ! »

Tu ne vois pas, c’est pour ça que tu ne me regardes pas dans les yeux, sûrement.

« Oui, l’abat-jour du bureau est abîmé, ainsi que la porte du placard et le mur a également été éraflé.

— Oh ben ça alors ! Je demanderai à Natou si elle sait ce qui s’est passé. Je n’ai pas fait attention si c’était déjà abîmé lorsque nous sommes arrivés. »

Ah le goujat ! Mais c’est qu’il mettrait tout sur le dos des autres, ce sale type !

« J’en doute, je fais toujours une inspection des chambres en fin de séjour. Votre demoiselle me semble bien trop frêle pour avoir fait de tels ravages. Quoi qu’il en soit peu importe du moment que nous trouvons une solution à ce petit problème.

— Bien entendu. Ne vous inquiétez pas, indiquez-moi le montant de la compensation que vous estimez raisonnable et ajoutez ça sur ma note, pas de problèmes. »

Ah parce que tu croyais que je te laisserais le choix, tu me connais mal bonhomme.

« Ça n’est pas le même compte, j’aimerais réparer avant votre départ, si bien entendu vous prenez soin des lieux dorénavant.

— Ah oui, bien sûr, préparez-moi la note pour ce soir alors. En liquide, ça vous ira ?

— Très bien, merci. Je vous laisserai une note à la réception si je n’y suis pas. Je vous souhaite une très bonne journée ! »

Et n’hésitez pas à vous casser une jambe en grimpant dans la montagne.

J’ai affiché mon plus beau sourire le-client-est-roi appris à l’école hôtelière et j’ai filé au local technique chercher le chariot d’entretien.

Ces p*** de chambres ne vont pas se faire toutes seules, ma fille. Au boulot !

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