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Paul Dindon

Chambre 3

Décale les platanes



Décale les platanes[1], décale les platanes, ohé, ohé
Décale les platanes, décale les platanes, ohé, ohé
Au bal, au bal masqué, ohé, ohé

— Oh hé ! Oh hé ! lance une voix familière.

C’est Jeanne Mas qui me secoue pour me réveiller de ma sieste.

— Dépêche-toi, on t’attend pour la balance son.
— Quoi ? Euh. Où suis-je ?
— Sur la scène du Stade de France pour un duo avec moi, banane.

Je cligne les yeux tant pour effacer ce mauvais rêve, que pour distinguer la foule des premiers spectateurs, nus, venus assister aux derniers réglages. Je plonge ma face dans l’oreiller, je sens bien que rien n’est réel, pourtant je les entends crier avec Jeanne :

— Paul, debout !
— C’est qui ça ? ajoute-t-elle en pointant un faux ongle rose bonbon sur la femme vêtue de jupons superposés partageant ma couche.
Un collier de carottes autour du cou, la femme berce dans ses bras une perruche qui fait du pédalo.
— Malia ?!

Comme jeté d’un pont sans corde, sans harnais, je me réveille en sursaut, soufflant tel un bœuf. Un mal de crâne atroce me vrille les tempes. Peut-être les deux schnaps avalés en cuisine avec Lucien le veilleur de nuit et Joseph voisin d’étage. Peut-être aussi la conversation avec Sylviane qui me tourneboule plus que je ne le voudrais. Je procède à une toilette de chat à l’eau glacée, j’enfile les deux pieds dans la même jambe de pantalon de jogging et me vautre lamentablement. Je marmonne dans ma barbe de trois jours :

— C’est une belle journée qui commence.


Il est sept heures et des poussières de sommeil à rattraper, je trouve Jeanne Lalochère, élégante dans son tailleur pantalon gris souris, qui ferraille avec l’imprimante de la réception. Elle ne parvient pas à faire taire les bips signalant indifféremment un mauvais format ou une pénurie de papier.

— Bonjour Jeanne.
— Ah, Bonjour Paul. Vous avez bien dormi ?
— Bof, mais rien à voir avec la literie de l’auberge qui est par-faite.

Jeanne est contrariée. Désignant l’imprimante, je propose d’y jeter un œil. Elle opine du chef, je pousse la petite porte battante sur laquelle est écrit « Réservé au personnel » et, tandis que je vérifie les paramètres d’impression sur l’écran de l’ordinateur et sur le panneau de contrôle du capricieux appareil, je lui résume les raisons de mon départ anticipé. Lundi au lieu de mardi. Le bar qui m’emploie depuis 2009 est en vente. C’est du sérieux. Je dois voir ma patronne et organiser la suite. Des vacances forcées ou la recherche d’un nouveau job.

— Voilà, elle fonctionne, dis-je avec un sourire satisfait. Je vais me caféiner. Je vous laisserai les clés lundi très tôt.


Mon portable vibre dans ma poche. L’inconnu du bal m’envoie un SMS agrémenté d’émojis :

— Clin d’œil. Aubergine. Aubergine. Bisou en forme de cœur. Signé, Siegfried.


Note

[1] paroles alternatives de la chanson entendue au bal du 14 juillet à Pollox

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