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Paul Dindon

Chambre 3

L'inconnu et la biche effarouchée

biche effarouchée .jpg, juil. 2020
Biche effarouchée - photo libre de droits retouchée par Paul Dindon


Je ne connais pas ce lit, je ne reconnais ni la lumière ni l’agencement des meubles, ni les meubles d’ailleurs. Ça ressemble à un matin ensoleillé, filtré par les voilages et les lames des volets en bois. Je sens un souffle humide sur ma paume de main, c’est un chien qui se tient au pied du lit, aux pieds du maître qui m’observe avec amusement.

— Thé ou café ?
— Café.

Le chien et son maître quittent la chambre comme pour m’indiquer le chemin. J’enfile caleçon et t-shirt et suit mes hôtes.

C’est une chaise en fer rouge sur une terrasse en teck à l’ombre d’un cerisier et la vue sur un champ en jachère qui s’offrent à moi pour un petit déjeuner chez l’inconnu du bal du 14 juillet à Pollox. Je m’excuse le temps d’envoyer un court message à Sylviane : « Pas pu prendre ton appel hier, désolé. Soirée mouvementée. Je te raconterai. Tout va bien ? Je te rappelle dans la journée. Bises, PD. »

— Ça t’ennuie de me déposer au village tout à l’heure ?
— Une course à faire ?
— Oui, dit-il avec un sourire moqueur. Je dois récupérer ma voiture.


Le téléphone sonne. Il est minuit passé, ça ne peut être que Sylviane. Je l’ai encore oubliée. Tu parles d’un ami. Je la laisse en plan à Paris, je l’espère remise de son chagrin d’amour, et durant le mois écoulé, je ne l’ai pas appelée une seule fois pour confirmer mes espoirs. Je me confonds en excuses. Elle me répond : « oh, va, ne t’inquiète donc pas ». Je sens une inquiétude dans sa voix. Nous bavardons, elle que j’imagine à fumer son « joint du soir à mon perchoir », comme elle dit, accoudée à son rebord de fenêtre avec vue sur le Génie de la Bastille, moi assis en tailleur sur le balcon à contempler les ombres que jettent les sapins à la surface du lac. « Je ne t’ai pas raconté les tractations », confie-t-elle. « J’aurais dû. Tu fais partie des meubles. J’ai une promesse d’achat pour le Fer à Cheval, et j’ai besoin de tes lumières. »

Celle-là non plus, je ne l’ai pas vue venir. Ni la dispute qui gronde dans la chambre d’à côté. Le ton monte, j’entends un « c’est ça, tu cognes les femmes » qui me pique au vif. J’abrège la conversation avec Sylviane et me rue sur le pas de la porte de la chambre de Natou. L’olibrius qui lui tient lieu de fiancé me fait face. Ma tenue négligée, mon silence tenu, mon regard oscillant entre provocation et candeur parviennent à le décontenancer. Je bredouille ma fausse excuse « je me suis trompé de chambre ». Il déguerpit et me laisse, sans le savoir, réconforter la biche effarouchée.

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