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Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Le bal musette - Französischer Volkstanz

Chère Marie-Ange,

Parfois je me rends compte combien malgré les éminentes différences culturelles, la France et l’Autriche peuvent parfois se ressembler. Comme je vous l’avais annoncé dans ma précédente lettre, je suis allée assister au bal musette du 14 juillet. Très sincèrement, j’y allais en dilettante, en observatrice curieuse de ce que pouvait bien être un bal musette. J’avais dû regarder sur Wikipédia pour comprendre ce que cela était et en ai conclu que cela se rapprochait de notre Schlager autrichien, en plus… français. Nappes à carreaux qui m’ont rappelé les nappes de notre brasserie préférée sur la place du Marché. Ah qu’elles sont loin nos années étudiantes et insouciantes ! Je crois que cette année en France a probablement été la seule pendant laquelle j’ai vraiment flirté avec l’insouciance. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle me manque mais elle me permet d’aborder cette nouvelle étape de ma vie peut-être un peu plus sereinement ?

Pour le décor, drapeaux français en guirlandes partout sur la place. Je crois qu’il y avait un orchestre mais aussi un DJ. Côté musique je n’ai pas très bien compris le “musette”, parce qu’ils ont joué du paso doble, des tangos et des mambos plus que des valses. On dira ce qu’on voudra, même populaire, le bal français reste quand même autrement plus classe que ces fêtes pleines de bières de nos montagnes. Peut-être est-ce le fait qu’ici on boit du vin plutôt que de la bière ?

J’ai retrouvé le Suisse de la veille assis à une table et n’ayant pas voulu avoir l’air trop froide, lui ai adressé la parole, en lui demandant si je pouvais m’asseoir avec lui. Il a marmonné un “Oui bien sûr” pas très engageant mais j’ai décidé de passer outre. Je n’ai pas su quoi lui dire d’autre que :

— C’est ma première fois à un bal musette, cela me fait penser aux fêtes de Schlager. Je pense que vous en avez aussi en Suisse ? Manquent les culottes de peau et les Dirndl bigarrés.

— Je n’ai jamais assisté, ni à l’un, ni à l’autre, a-t-il répondu, laconique.

Une jeune femme est arrivée, en jeans et baskets : “Vous buvez quelque chose ?”

— Un vin blanc, s’il vous plaît. Merci. Vous ne dansez pas ? ai-je demandé à Akikazi.

— Je me suis bêtement tordu la cheville dans une racine et ne peux danser. Pas que j’en aie une folle envie, soit dit en passant.

Il y a eu un blanc, jusqu’à ce que la serveuse revienne avec mon verre. J’ai bu une gorgée et quelque chose en moi a lâché. J’ai continué, comme me parlant à moi-même.

— Je suis habituée aux fêtes guindées de la haute société viennoise. Bécasses, vipères et gras cochons aux airs distingués, aux manières polies et policées sur le dessus mais franchement sans morale dès que l’on creuse un peu. Je suppose que j’ai fait partie des vipères plus souvent qu’à mon tour.

Le Suisse m’a regardé d’un air un peu interloqué. J’ai repris une gorgée de vin et ai continué — je vous promets Marie-Ange que je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête : la fête ? le vin ? (mauvaise excuse, deux gorgées ne suffisent pas à m’enivrer !) Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Et puis, n’était-il pas celui qui la veille m’avait parlé de “vivre ici et maintenant” ?

— Mon mari n’a cessé de me tromper pendant des années et j’ai fait profil bas. Il enchaînait femme sur femme, toujours bien plus jeunes que moi et s’affichait avec elles en toute impunité. J’ai été la risée de ma belle société pendant des années. J’ai divorcé il y a quelque temps. Je ne l’aurais jamais fait sans ma fille qui m’y a poussée. Je me demande encore si j’ai bien fait. Je m’en étais accommodée. Maintenant je dois tout repenser. Tout.

Je l’ai regardé qui me regardait et je crois bien que j’ai rougi.

— Pardonnez-moi, je crois que je me suis laissée aller. Comment avez-vous dit déjà ? “Vivre ici et maintenant” ?

Il a acquiescé et m’a parlé un peu plus de l’Ikigai, cette philosophie qu’il essaye de pratiquer. Il m’a parlé de son travail d’agent d’assurances qui ne le satisfait plus, ou pas. Il m’a même parlé de moi, ou plutôt de toutes ces femmes de mon âge qui vivent la même histoire que moi et à qui il a eu à faire au travers de son travail. Je le soupçonne d’avoir parfois profité de leur désarroi. J’ai continué à parler de ma vie d’avant, je crois avec nostalgie. Je ne sais pas si dans cette conversation je ne suis pas passée pour, effectivement, l’une de ces vipères qui m’ont si lâchement laissée pour compte lorsque le divorce a été prononcé.

Comme je me sens seule ! Cet interlude au bal musette pourtant était inattendu et bienvenu, sur fond de bal aux musiques souvent exotiques. Natacha a dansé un tango, toute pimpante dans sa robe rouge éclatante et ses talons si hauts que je me demande comment elle n’est pas tombée, avec un autre que son Toni, qui les a regardés avec sévérité. J’ai compris qu’Éric Javot, le réalisateur, était à l’Auberge quand je l’ai vu arriver sur la place, faisant une petite sensation. Je n’ai vu aucun de ses films mais je l’ai aperçu une ou deux fois dans un Gala ou un Entrevue qui racontaient les frasques d’Armin à Cannes. Il y avait aussi la dame un peu étrange, Malia je crois, qui est arrivée avec Paul Dindon, un homme de mon âge au regard clair. Elle a dansé un paso doble. Au-delà de ces danses, la musique semblait connue des passants comme des danseurs, pas de moi. Tout le monde chantait ces chansons qui ne sont pas les miennes. C’est parfois étrange de tout comprendre mais de ne pas avoir les mêmes références culturelles. Sauf bien sûr les quelques tubes des années 80 que nous avons chantés ensemble vous et moi Marie-Ange.

N’avez-vous pas un peu de temps pour venir me voir ? Je pense que nous nous amuserions beaucoup ensemble !

A très bientôt,

Toutes mes amitiés,

A-K. v. A.

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