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Joseph Midaloff

Chambre 6

Merci pour les photos

Salut mon Didi,

Merci pour les photos du barbecue d’hier, sympa de me les avoir envoyées ! On aurait bien aimé être avec vous. Les gosses de Michael ont bien poussé dis donc, j’ai eu du mal à les reconnaître. Ici on ne s’est pas ennuyés non plus, on a fait la totale : retraite aux flambeaux avant-hier avec le feu d’artifice à la fin et hier pique-nique sur des grandes tables à tréteaux le midi, kermesse et bal. Julie a même gagné un set de fondue à la tombola, elle est repartie avec ce matin. Comme ça tu connais le menu pour la prochaine fois qu’on fait une bouffe chez nous.

Le bal était vraiment bien, on est partis quand ils ont commencé à ne passer que des tubes de maintenant mais avant ça on se serait cru sur les bords de Marne : des valses, des tangos, des mambos, des paso doble, tout y est passé. On a tout donné Julie et moi, on est rentrés crevés !

Tu te souviens de la petite Marseillaise de l’auberge dont je t’ai déjà parlé ? J’ai dansé avec elle aussi, c’est une gosse vraiment sympa, toujours avec le sourire et la bonne humeur en bandoulière. Elle me fait penser aux brocheuses de notre jeunesse (en tout bien tout honneur !). Par contre son mec c’est une autre paire de manches. Il a voulu me la jouer racaille quand j’ai invité la môme à danser, t’aurais presque pu le voir gonfler ses plumes depuis Paris.

On venait de se poser à une grande table pour souffler après notre quatrième danse d’affilée. La gamine et son mec y étaient. On échange des bonsoirs avec Natou (c’est son prénom), qui commence à nous jeter des fleurs comme quoi on danse bien, qu’on est trop beaux et tout (je peux pas te faire le dialogue avec toutes les couleurs, je me souviens pas de toutes ses expressions, mais tu imagines l’accent et les té et les vé tous les trois mots, ça éclatait de soleil). Là elle nous dit qu’elle sait un peu danser aussi parce qu’elle a appris dans le bar où elle travaille. Son mec écoute pas trop, il est sur son téléphone. Alors bien sûr je lui propose qu’on danse ensemble le prochain tango. Elle tape dans ses mains toute contente :

« T’entends ça Toni, je vais danser le prochain tango avec le monsieur ! »

Ça l’a réveillé en sursaut de son portable et le voilà qui sort :

« Tu vas pas me laisser tout seul ici, reste avec moi tranquille, t’as pas besoin de danser avec un type que je connais pas. »

Et il me regarde style dur à cuire, touche pas au grisbi. Aussi sec, je lui retourne la politesse façon tu me cherches tu me trouves, tu sais pas à qui tu te frottes. Là nos deux nanas parlent en même temps.

Natou : « Mais on le connaît ! Il est à l’auberge, c’est celui que les gendarmes étaient venus voir l’autre jour. »

Julie : « C’est vous à la chambre 4, non ? Vous devez connaître toutes les balades du coin, à partir crapahuter du matin au soir comme vous le faites. Faudrait emmener Joseph, il ne fait pas assez d’exercice. »

Va savoir si c’est mon regard ou les sorties des filles, en tout cas il s’est dégonflé comme une baudruche et a renaudé qu’elle pouvait faire une danse après tout, mais une seule.

La musique repartait sur un tango, j’ai tiré la gamine par la main et on s’est mis à danser. Elle se débrouillait plutôt bien même si elle s’emmêlait parfois un peu les pinceaux dans les pas, mais elle s’appliquait. Elle n’était pas trop équipée pour faut dire, avec sa robe rouge trop serrée et sa couronne de fleurs qui voulait se faire la malle.

« Oh peuchère, désolée, ça doit pas être marrant pour vous de danser avec une cougourde comme moi. J’aurais dû écouter Toni et rester à ma place. »

Et d’un coup elle avait l’air toute perdue, presque triste, ça m’a fendu le cœur. Je lui ai bien expliqué que je m’amusais beaucoup au contraire et que Julie et moi on s’entraîne depuis des lustres, qu’on est dans un club de danse alors que c’est normal qu’on danse bien, qu’on n’est pas nés comme ça. Je lui ai raconté les heures et les heures que j’ai passées dans mon studio à danser tout seul quand j’avais son âge et comme j’avais peur de jamais y réussir. Et puis je lui ai dit aussi que je l’avais vue voler au secours de la serveuse pour lui apprendre à répartir le poids sur un plateau et que ça je ne savais pas le faire et que je l’avais trouvée drôlement sympa d’aller aider. Et puis que c’était fortiche d’être capable de toujours voir les bonnes choses comme elle le fait et de savoir parler avec tout le monde.

« Vous n’avez pas remarqué que tous les clients vous parlent facilement et vous emmènent en balade, c’est un talent ça, tout le monde ne sait pas le faire !

– Ah oui ? Mais c’est pas médité dans les prés vous savez. J’ai pas de technique, c’est juste que j’aime les gens ! »

Je la regardais et je me disais que j’espérais que son connard de bonhomme ou personne d’autre ne viendrait jamais bousiller son innocence.

« En tout cas pour la danse vous inquiétez pas, regardez vous êtes déjà beaucoup plus à l’aise que tout à l’heure. La danse c’est comme le vélo, ça s’oublie pas. Et puis faut m’appeler Joseph ou Jojoff, maintenant qu’on a dansé ensemble on n’est plus des monsieur-madame.

– Eh bé ça c’est pas sûr pour le vélo ! J’ai pas encore osé en prendre un à l’auberge, j’ai trop peur de me casser la figure, j’en ai pas fait depuis toute minote ! »

J’ai pas réfléchi plus loin, je lui ai proposé qu’on fasse une petite balade à vélo un soir quand je rentre du boulot. J’en ai parlé à Julie, qui trouve que c’est une excellente idée. Pour moi déjà parce que je m’encroûte ici à faire les allers et retours à Bourg en voiture et pratiquement pas bouger de ma chambre le reste du temps et pour la moufflette d’avoir un gars de l’âge d’être son père qui la prend un peu sous son aile ça peut pas lui faire de mal.

En tout cas ça me changera bien les idées, cette mission me met sur les nerfs. Mais je commence à avoir une petite idée pour la suite. Je vais t’avouer un truc : j’ai tout raconté à Julie. On ne s’est jamais fait de secrets, je ne vais pas commencer maintenant. J’ai bien fait, on a pu en discuter tous les deux et j’y vois plus clair. Je laisse mûrir et je t’en parle la prochaine fois.

Merci encore pour les photos et des bises à ta femme !

Jojoff

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