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Ariane Danchin

femme de chambre

La poisse salariale

Il faut croire que ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé pour autrui, voilà que j’avais oublié une des plus grande caractéristique de ma vie : la poisse salariale.

Tout fonctionnait super bien, et voilà qu’à peine ce travail à l’auberge commencé, crevaison à vélo sur le chemin d’en revenir (dimanche, il n’était pas trop tard, j’ai pu rentrer à pied en poussant ma bicyclette, puis réparer plus tard), alors que je n’avais pas subi de crevaison depuis, depuis … depuis tellement longtemps que je ne me le rappelle plus. Et que par ailleurs mardi matin, alors que j’avais besoin d’un double réveil efficace après avoir bossé tard la veille (heureusement j’avais eu le temps de rentrer entre les chambres le matin et en début d’après-midi, et le coup de main pour le soir, la préparation en vue de la retraite aux flambeaux, aider à l’accueil, par précaution, car la plupart des résidents y est allée et le reste restait à se reposer) mon téléphone a refusé de s’allumer. Heureusement mon vieux réveil matin avait fait son office, et je ne m’étais pas rendormie, il n’empêche j’ai frôlé de peu le raté de début de journée. Madame Lalochère a beau être très humaine et très compréhensive, elle aurait pu perdre confiance en moi.

Alors voilà, hier soir au lieu de relater ce nouveau travail et les découvertes que j’y fais, au lieu de lire le carnet trouvé, dont j’ai l’impression de plus en plus qu’il m’a été en quelque sorte confié, alors je dois lire pour décider ce que j’en fais, il y aura peut-être un message à transmettre, mais là je n’ai vraiment pas eu le temps de m’en occuper, hé bien voilà j’ai fait toutes sortes de manipulations sur le téléphone, sous l’égide de ma fille Lucie qui a consenti en utilisant la vieille ligne fixe, d’aider sa vieille maman à se dépanner. Il m’a fallu éteindre, rallumer, désinstaller des choses, télécharger d’autres choses, renseigner des zones dont le sens parfois m’échappait, mais pas à Lucie, heureusement, en ouvrir d’autres, et puis à un moment quand je ne comprenais plus rien, mais pas Lucie qui comprenait tout bien, ça a fonctionné enfin.

Ouf !

Car ce petit appareil est quand même mon plus solide allié, enfin quand il ne tombe pas en panne, pour converser avec mes enfants, mes amies, et ce qui me reste de famille.

Je suis bien soulagée, même si je suis contente quand j’y suis, quand j’y vais, que cet emploi ne soit pas tous les jours, même si déjà lundi j’étais moins malhabile avec le chariot des produits d’entretiens, et que j’avais retrouvé le tour de main pour refaire les lits sans tirer sur mon dos, y a pas, ça fatigue. Il n’empêche que je commence à reconnaître les gens, savoir leurs préférences pour l’état de la chambre, savoir qui fait quoi parmi mes collègues, le veilleur de nuit, que j’ai à peine croisé, a l’air d’être un fameux lecteur, ça vaudrait le coup que j’essaie d’arriver plus tôt un matin pour causer un peu avec lui, mais c’est pas sûr que j’y parvienne. Enfin peut-être que si, si mon téléphone qui me sert de second réveil par sécurité continue à refonctionner. J’ai eu l’impression aussi hier que quelqu’un s’apprêtait à partir précipitamment plus tôt que prévu, je me demande ce que je trouverai samedi ou plutôt qui je retrouverai ou pas. J’aime bien ne pas trop regarder le numéro des chambres, sauf s’il y a une consigne particulière, et ensuite, tant que je n’ai pas encore rencontré les gens, tenter de deviner qui a sa chambre où ça. Sans doute qu’en vieillissant, on redevient un peu enfant : on s’invente comme ça des petits jeux de tous les jours.

Bon, j’arrête là pour ce soir. La patronne m’a donné un beau carnet alors que rien ne l’y obligeait, c’était pour les résidents au départ, et voilà que je m’en sers pour écrire n’importe quoi. Je voulais raconter la vie dans ce bel endroit et je parle de mon téléphone et quand je suis fatiguée mes phrases n’en finissent pas. Si je me relis plus tard, je ne me comprendrai même pas. Allez, au lit !

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