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Éric Javot

Chambre 16

Perfect blues

XX. Ext.Nuit/place de village :

 

La place grouille d’enfants en short et d’adultes tentant plus ou moins facilement de les contenir et de les organiser. Les gamins tiennent des bâtons avec un lampion au bout. Des grands passent entre eux pour les allumer. Richard, environ 10 ans, a un large sourire. Sa mère, Instamatic Kodak à la main, fait des photos, un gros cube sur l’appareil sert de flash.

 

XX. Ext.Nuit/Rue de village/chemin :

 

Divers plans sur le défilé, les enfants ouvrant la marche avec leurs lampions, ils ont l’air fiers de leur mission. Des adultes suivent avec des torches enflammées à la main. Une petite fanfare fait de la musique, le public crie et applaudit.

 

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Le problème quand on vieillit, c’est que cela vous éloigne de votre enfance.

Quand j’ai vu à l’accueil de l’auberge qu’il y avait une retraite aux flambeaux, je me réjouissais de replonger dans ce souvenir d’une ancienne époque.

Las…

Point de lampions tenus par des pitchounets, mais des bâtons fluorescents vendus par quelques marchands ambulants, à des parents bien obligés par leurs rejetons ; certains qui tournent d’autres qui en plus font du bruit.

 

En guise de torche, des cannes avec à leur extrémité des boules de LED censées imiter le vacillement d’une flamme.

Sécurité, paraît-il…

On en distribue à qui veut et en route pour le champ de tir en faisant le tour du village dans une sorte de parade désorganisée.

 

J’imagine la scène pour un nouveau film d’horreur :

Un groupe de zombies avançant au pas, déterminés, avec des torches en LED faisant fuir des humains…

 

Ouais ça plombe un brin l’ambiance là, non ?

C’est un peu comme si on faisait un massacre à la tronçonneuse bio électrique ; côté bruitage, cela risque de changer légèrement le ressenti de l’amateur de sensation forte !

 

Les gens on l’air joyeux, pas moi, je n’y retrouve pas la magie qu’inconsciemment j’étais venu chercher, je préfère aller boire une bière au bar du coin en attendant le feu…

 

Deux pintes plus tard et une envie de pisser, je guette le feu d’artifice, craignant là encore que l’on me remplace flamme et fumée par quelques expédients holographiques ; au point où l’on en est !

Dans la petite foule, je reconnais quelques clients de l’hôtel. Il y a la Marseillaise, toujours causante accompagnée par son bellâtre à chaîne et médaille en or ; comme son silence. Son tirage de gueule contraste curieusement avec le sourire lumineux de sa belle ! Un bien étrange couple !

Elle papote et semble connaître tout le monde. Je crois qu’elle n’a pas oublié de commenter une seule fusée ou effet pyrotechnique. On aurait dit une enfant découvrant son premier feu ! Un tel enthousiasme, forcément, cela vous tire un petit rictus, qui mis à part le spectacle pyrotechnique modeste mais réussi, m’aura remonté un peu le moral et offert une touche de joyeuseté dans cette soirée que je me suis fabriquée morose.

 

En retrouvant ma chambre, j’ai regardé mon ordi sur la commode. Je ne l’ai pas ouvert de la journée, toujours pas d’idée, rien nada, le grand vide…

 

Et si l’inspiration ne revenait pas ? Et si j’étais fini ? Et si je venais de faire mon dernier film ?

 

Solitaire sur mon balcon, je me sers un whisky… Il est deux heures du matin, pas envie de dormir, tout est redevenu calme…

 

À quoi bon tout ça ?

 

Une odeur d’herbe qui fait rire vient me titiller les narines, je regarde mon cigare ; non ce n’est pas lui.

Je me penche, assis sur les marches deux étages en dessous, une ombre dans le halo orangé d’une cigarette. Plus loin, des petits points blancs, comme des yeux qui brillent dans ce qui reste de lueur d’une lune déjà bien entamée…

 

Décidément, l’ambiance de cette auberge est bien étrange…

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