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Ann-Kathrin von Aalders, Gräfin von Ersterbach

Chambre 1

Où l'on coupe les têtes royales - Wo mann Königliche köpft

Chère Marie-Ange,

Je me demande parfois si l’Histoire a vraiment bien choisi ses jours importants. Le 14 juillet en France m’a toujours un peu étonnée par sa violence (la Marseillaise dès ses premières notes est quand même particulièrement agressive et sanglante, sans compter les têtes qui tombent). Couper les têtes est évidemment un moyen infaillible de faire tomber la couronne une fois pour toutes. Je sais que la France est très laïque, mais je la trouve bien attachée à ses idées sanglantes, avec cette Marseillaise. Cette année la France remercie l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg et la Suisse tout particulièrement, c’est étrange, comme l’Histoire bouge. Un jour ennemis, un jour amis, un autre jour on ne sait trop où l’on se pose.

De façon quelque peu ironique, l’Autriche a choisi pour sa fête nationale le jour de sa neutralité déclarée. Je me demande souvent ce que veut dire neutralité aujourd’hui. Anneliese n’est pas étrangère à cette réflexion, elle qui ne cesse de me répéter combien ma passivité est l’une des formes de soumission les plus abjectes qui soit et de seriner combien la neutralité de l’Autriche est une excuse pour assurer l’impunité des politiques et des conservateurs (inutile de préciser que j’en fais partie) qui peu à peu s’attaquent aux libertés. Elle se plaint de la “fermeture de la société civile”. Je me sens parfois tellement loin des considérations d’Anneliese et pourtant quelque chose me dit qu’elle a raison, ou bien… je ne sais. Parfois je me demande s’il ne faudrait pas que me pousse une conscience, cela me pousserait peut-être à faire plus attention à mon prochain.

J’ai accompagné hier soir la marche aux flambeaux en l’honneur de la fête nationale. Il y avait une note écrite par la direction depuis quelques jours sur les activités organisées par le syndicat d’initiative (il m’a fallu quelques jours pour comprendre que l’on entendait par là le bureau du tourisme et non quelque syndicat paysan qui revendiquait je ne sais quelle idée politique) les 13 et 14 juillet. Ils prévenaient déjà que les flambeaux ne seraient pas vrais mais que les flammes seraient remplacées par des lampions électriques. J’étais intriguée à l’idée d’une marche aux flambeaux autour d’un village en plein été, je suis plutôt habituée aux descentes aux flambeaux des nuits d’hiver de Kitzbühel sur la neige mais bon, pourquoi pas. Je suis ici pour me changer les idées. Plusieurs personnes de l’hôtel étaient présentes, dont notre marseillaise locale, la fameuse Natacha dont je vous ai parlé, flanquée de son Toni qui a tout à fait la tête de l’emploi du mafieux mielleux. Bien sûr je me retiens de dire quoi que ce soit à Natacha mais je suis certaine que mon regard en disait long.

Nous avons marché en paires et par hasard je me suis retrouvée près d’un certain Akikazi Takenaka (je remercie mes années d’entraînement passées à retenir les noms les plus incongrus à mon oreille pour faire bonne figure dans les dîners) qui, contrairement à ce que son nom indique, est suisse. Francophone, je crois, en tous les cas il ne m’a pas adressé la parole en allemand, bien que l’on sache que les Suisses ont du mal à s’exprimer en haut allemand (est-ce comme cela que l’on traduit Hochdeutsch ?). Je l’ai trouvé agréable mais il m’a paru fatigué. Pas forcément physiquement, mais tout ce qu’il a dit sur son travail (pas grand chose, cela dit) paraissait très ennuyant ou ennuyé. Nous avons discuté un peu, de tout de rien, il m’a parlé de cette (nouvelle ? certainement pour moi) philosophie japonaise : l’ikigai. Vous connaissez mon scepticisme quant à ces philosophies venues d’Asie qui font appel à une spiritualité que je suis loin de posséder, du coup, j’ai eu un peu de mal à suivre. Il m’a parlé de piliers, de vivre ici et maintenant et de la joie des petites choses, je n’ai pas tout suivi. Alrich est assez porté sur la méditation et ne jure que par le Dalai Lama et j’ai eu l’impression de l’entendre parler en écoutant Akikazi. Nous avons marché une demi-heure je crois et avons fait le tour du village. C’était assez… ennuyeux en fait, mais j’ai apprécié un peu de marche. Il faisait presque nuit et il était difficile d’observer les autres hôtes de l’auberge. J’ai reconnu le couple avec la femme frêle et son colosse de mari et d’autres dont je ne connais toujours pas le nom.

Ce soir il y a un bal musette au village auquel je pense assister. Un bal musette, cela me changera des soirées viennoises guindées et parfaites en surface. J’ai hâte de voir ce qu’un village comme Pollox a à offrir comme scandales, rumeurs et autres comportements inadmissibles en temps normal.

Je vous raconterai ce bal dans ma prochaine lettre.

Vous me manquez toujours autant.

Toutes mes amitiés,

A-K. v. A.

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