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P. Vergnes

Chambre 18

Le réveil du prince pas charmant aux bois dormant

Chère Amie,

Quelle magnifique soirée m’avez-vous offert. Toutes ces discussions que nous n’avons pas depuis ma retraite jurassienne nous ont rendus bavards.
Elle avait bien commencé ma journée à l’université. En prenant une viennoiserie avec Nadine, peu après 7h30, je vous ai vu passer devant la boulangerie. Je ne vous aurais reconnue si ce n’était cette démarche dansante qui est la vôtre. En converses, veste à capuche marine d’une université quelconque et paire de jean brut moulant, je ne vous avais encore jamais vu habillée ainsi. Je ne sais où vous alliez, la musique dans les oreilles et l’allure rapide. Peut-être là où vous travaillez ? Tiens, d’ailleurs, je ne sais même pas ce que vous faites…

Nadine m’a demandé si c’était la perspective des douze entrevues à venir qui me faisait sourire comme ça. Surpris, sans réfléchir, je lui ai répondu que c’était vous. Alors, nous avons parlé de vous.
J’aime bien travailler avec elle. Nous avons la même vue sur ce qu’est enseigner, les mêmes attentes envers nos ouailles, la même surcharge avec nos recherches. Seules notre période, nos aires et spécialités diffèrent. Je crois que c’est pour toutes ses raisons qu’Édouard nous met souvent ensemble pour cette activité.
Épuisé après toutes ces candidates (une plus forte proportion de filles dans les études supérieures explique ceci), candidates dont la plupart, même admises, ne viendront pas (notre liste comportait surtout des candidatures externes), je n’avais qu’une envie : vous voir. Hélas, il me restait encore une heure et demi à patienter. Après avoir tergiversé sur l’opportunité de vous voir plus tôt, j’ai craqué en vous envoyant ma question. Quelle joie votre réponse ! J’ai aussitôt filé vous attendre devant votre résidence, où vous m’attendiez déjà.
Quelle tenue ! Si différente de celle de cette matinée. Cette robe bleu-nuit, parsemée de petites fleurs, semblait sortir directement de la série Hercule Poirot, celle avec David Suchet - il y est parfait d’ailleurs. Tout était parfait, jusqu’aux salomés nude, votre écharpe de soie avec sa corolle au-dessus de l’oreille gauche, laissant entrevoir les petites libellules à vos oreilles, ou encore cette perle posée sur votre gorge, et cette pochette en soie brochée bleu-paon, faite main.
Vous, vêtue de bleu, alors que c’est en vert d’habitude ; et moi, qui ne m’habille qu’en bleu, était en vert aujourd’hui. Cela m’a fait sourire.

Rentré très tard, ou tôt c’est selon, exténué, dérangeant Lucien pour entrer, j’ai eu beaucoup de mal à dormir. Mauvaise nuit laissant une mauvaise impression. Quand je suis descendu, Lucien était toujours à la réception. Marchant rapidement, je tentais d’ordonner mes pensées. Subitement j’ai réalisé que j’étais entouré de femmes, mes collègues les plus proches, celle avec qui j’écris, mon” éditrice”, ma seule et unique amie…
J’ai toujours été entouré de femmes. Proche de ma mère et de ma sœur (enfin moins depuis quelques années), je me suis toujours bien entendu avec les “Elles”. Je n’ai jamais été dans la séduction. Je suis trop respectueux de la gente féminine. Avec elles, je ne crains pas de laisser entrevoir, parfois, ma sensibilité. Je n’ai pas à jouer celui que je ne suis pas. La virilité ne s’exprime pas dans l’attitude. Il ne m’est pas nécessaire de l’afficher pour savoir qu’elle existe chez moi. Je ne dis pas que tous sont ainsi, je dis juste ce que moi je suis, ou ne suis pas. Enfin j’essaie, bien maladroitement.
J’ai réalisé que je n’avais jamais courtisé ma femme. Cela s’est fait comme une évidence. Pas de déclaration enflammée, de grande passion dévorant tout sur son passage. Nous nous sommes mariés aussi comme cela. Cela coulait de source. Nous menions nos carrières, avons fondé une famille. Et puis la vie, la routine, les disputes… et la collision.

Depuis j’ai continué ma routine, mes recherches, sans rien changer jusqu’à une petite note dans ma boîte aux lettres de l’UFR, jusqu’à cette bouche frôlant la mienne d’une qui pourrait être ma fille, jusqu’à ce que je réalise qu’ici aussi je m’étais plutôt (r)approché d’elles… Jeanne, June, Malia…

Il serait peut-être temps que je regarde les “Elles” comme des femmes…

Bien à vous

P. V

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