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Clémence Ribeyrou

Chambre 2

Il est temps à nouveau

Je devais partir hier, mais mon employeur, charmant comme toujours, a prétendu qu’il n’avait pas compris que je partais dimanche, et a imposé que je joue hier soir. Je suis partie ce matin tôt, j’ai roulé comme une cinglée, j’ai carburé au café en écoutant mon GPS comme si ma vie en dépendait, et je suis arrivée à l’accueil de l’auberge, les cheveux en bataille, l’oeil pas très clair, pour m’entendre dire que j’avais de la chance que ma chambre n’ait pas été louée à quelqu’un d’autre puisque je n’avais pas prévenu de mon retard d’une journée (j’étais tellement en colère que j’avais oublié de téléphoner, en effet).

Clé.

Escalier.

Porte.

Lit.

Trois heures plus tard, découverte d’un petit cahier, que j’ai tenu, les jointures blanches, pendant vingt secondes, avant d’attraper le joli stylo juste à côté pour tracer mes habituelles pattes de mouche.

Une auberge.

Dans le Jura.

Si on m’avait dit il y a dix ans, le jour de mes 19 ans, que dix ans plus tard je choisirais de passer mon anniversaire seule, dans une auberge du Jura…

À l’époque je croyais à mon avenir éclatant de musicienne, j’allais briller de mille feux, jouer du piano dans les salles les plus magnifiques, accompagner les meilleur·es chanteureuses.

Aujourd’hui je sais que mon ambition d’accompagner la plus grande, Anne Sylvestre, restera un rêve. Je me suis engluée dans un emploi alimentaire, pianiste dans un hôtel prétentieux où je sers de bruit de fond de luxe. J’en viens à détester les touches noires et blanches qui m’ont tant promis et m’ont laissé tomber.

Sur un coup de tête j’ai réservé des vacances dans cette auberge perdue, trouvée au hasard d’une navigation déprimée (et déprimante).

J’ai un gros mois pour savoir ce que je vais faire du reste de ma vie (qui comme chacun le sait commence aujourd’hui).

Un mois pour oublier tout ce qui me retient et me rappeler ce qui me fait avancer.

C’est jouable, non ?

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