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Claude de la Cruz

Chambre 7

Chère Maman

Chère Maman,

Je ne puis croire qu’oncle Pierre ait pu vous recommander pour mon séjour estival un établissement si ordinaire : aucun papier à en-tête de l’établissement de disponible pour la correspondance, ni dans la chambre ni à la réception ! Quel dommage que le Grand Hôtel des Bains soit en travaux cette année. Enfin, c’est ainsi, le Palace fera l’affaire cet été pour échapper à la touffeur de la ville et profiter de cet air marin qui me fait tant de bien.

Le voyage fut sans relief, et les paysages quelconques à force d’avoir été trop vus et admirés. Le personnel est affable mais sans obséquiosité. Il m’est en réalité plaisant d’arriver là où je ne suis pas connu. La chambre est confortable, même si la récente rénovation des lieux (perceptible à la légère odeur de peinture qui se dégage encore des chambranles) n’a visiblement pas permis une décoration plus moderne ou un choix de rideaux et papiers peints moins lourd, mais qu’importe. L’air est bon et le calme du quartier favorise un sommeil réparateur et bénéfique après ces derniers mois de tumulte. La table est de qualité, sans fioriture, mais en cuisine on semble avoir le goût sûr et relevé d’épices. Pas de fruits de mer sur la carte. Je n’ai pas encore prêté attention à la cave.

Arrivé il y a peu, je n’ai pas encore eu le temps de retrouver mes habitudes au Café de Paris, ni “mon” transat sur la plage. À dire vrai, je ne sais pas si je tiens tant que ça à retrouver “mes petites habitudes” ici. Après ce que j’ai vécu au printemps (oh comme ce souvenir m’est pénible… je n’ose écrire son nom, de peur de convoquer en ma mémoire un cortège de fantômes grimaçants), il me semble qu’un certain changement me ferait du bien. Ne m’en veuillez donc pas si mes lettres sont moins fréquentes qu’à l’accoutumée ou si j’y suis moins disert.

J’espère que vous ne souffrez pas trop de la chaleur, et que les visites d’oncle Pierre et de notre chère Albane vous distraient (si Arthur accompagne sa mère, dites-lui donc à l’occasion que son “grand petit-cousin” pense bien à lui !) Je vous embrasse fort,

Claude

P.S. Je crois bien avoir laissé quelques chemises de popeline en plan chez moi. Si Mme. Lefébure vous les signale à l’occasion d’une heure de ménage, dites-lui simplement de les ranger dans la penderie. Inutile de me les faire expédier ici, j’ai bien assez dans mes bagages.


Alea jacta est. Je vais descendre poster cette lettre que je viens de recopier sur la première page du cahier trouvé dans la chambre, pour garder trace de l’énormité de ce que je viens de faire. Je vais la poster, et puis l’oublier. Je vais l’envoyer aussi loin que tout ce que je voudrais éloigner de moi pour toujours. Je vais la déposer au départ du courrier, à la réception, puis je vais sortir emplir mes poumons d’un air nouveau et tenter d’ignorer ce parfum du mensonge que je viens d’écrire. Dans ma quête de paix, avais-je le choix ?

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