Les Poupettes vont débarquer.
Ce n’était pas très malin, de n’avoir donné aucune nouvelle pendant quinze jours. Mais j’avais éteint mon portable, trop heureuse d’avoir la paix, aucune obligation pour une fois. Quand j’ai rouvert ma boîte mail, lundi, j’ai trouvé quarante-cinq messages. 45 ! Elles m’avaient écrit chaque jour. Trois messages par jour, à chaque fois plus curieux, plus pressants, presque menaçants devant mon silence.
Du coup, j’ai passé la semaine à leur répondre. J’ai fait le tour de l’auberge et j’ai pris des photos. Intérieur, extérieur. J’ai même photographié la lingerie. Je leur ai tout commenté : l’ambiance, l’hygiène, la direction, les pensionnaires, les menus, les extras comme la soirée en forêt, le buffet avec la ferme d’à côté. Un sujet, un mail. J’ai dû en écrire une vingtaine. J’ai fait ce qu’elles attendaient de moi : j’ai testé, j’ai donné mon avis. Positif : tout est charmant, ici.
Résultat : elles vont venir.
Et ça me fiche la trouille.
Ce n’est pas que je ne les aime pas, les Poupettes. Je leur dois tout, sauf la vie. Elles m’ont adoptée quand j’avais huit ans. À l’époque, c’étaient de belles femmes blondes comme des Barbie, des seins comme des obus, des femmes qui sentaient bon, qui s’habillaient chic pour sortir. Léone, Zélie, Sybelle. Elles ne passaient pas inaperçues et j’étais fière qu’elles viennent me chercher à l’école, même si les copines les prenaient pour mes tantes. Non, elles étaient plus que des tantes : mes marraines. Des marraines fées, toujours à me couver, à deviner mes désirs pour me faire plaisir.
Et puis j’ai grandi. Et puis elles ont vieilli.
Elles s’occupent toujours de moi et je m’occupe d’elles de plus en plus.
Elles ont des fanons, des rides autour de la bouche et des filets de poudre incrustés dans les rides, du bleu et du mauve aux paupières, des cils charbonneux, des sourcils épilés redessinés au crayon. Leurs bras flasques pendouillent hors de leurs manches à volants. Elles pouffent comme des gamines, se moquent fort des passants, elles se font remarquer, on se retourne sur elles.
Léone ne sait plus très bien qui elle est, où elle est, parfois elle se perd, parfois elle s’échappe et je lui cours après.
Zélie lance des œillades, des sourires coquins aux hommes, comme elle a toujours fait. Mais ils détournent la tête, ou ils se moquent et moi je m’efforce de l’emmener, viens Zélie, avance, regarde, les autres sont loin devant, viens, on va les rejoindre. Et elle se retourne, et elle envoie des baisers la bouche en cul-de-poule, et je ne sais plus où me fourrer.
Sybelle marchande. Tout. Du canapé en cuir à la tranche de jambon. Elle marchande sans vergogne je suis une femme âgée, j’ai très peu de ressources vous me ferez bien un petit prix tout en agitant ses mains osseuses striées de veines grosses comme des cordes. Et je regarde ailleurs, j’essaie de ne pas entendre, j’attends qu’elle ait fini.
Les Poupettes, on dirait trois Barbie décaties, mais je les aime. Elles font le spectacle partout où elles passent, elles me fichent la honte, mais je les aime.
C’est pourquoi j’attends qu’elles débarquent, tant pis si c’est la boule au ventre.
1 Commentaire de Kozlika -
Oh ! Quel joli texte qui en quelques lignes nous apprend à aimer ces femmes comme Morette les aime <3 <3 <3
2 Commentaire de Philippe -
Chouette, on va découvrir les poupettes ! Je les aime déjà.
3 Commentaire de Sacrip'Anne -
Moi aussi je suis à l’avance fan des Poupettes :)
4 Commentaire de Avril -
Et tu ravives le souvenir de Flora, Pâquerette et Pimprenelle. Ça va être féerique, l’auberge !
5 Commentaire de TarValanion -
Je crains le pire.
6 Commentaire de Nuits de Chine -
Bé alors ? Oukésont les Poupettes ?