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Brigitte Audiber

Chambre 10

Le jardin

Ce matin, pour la première fois depuis que nous sommes arrivés à l’Auberge, je me suis réveillée sans pouvoir me lever. Gérard était déjà douché et prêt à notre randonnée quotidienne, et j’étais là, incapable de bouger du lit à le regarder comme s’il était un étranger. 

Il m’a appelée joyeusement, et je n’ai pas reconnu le son de sa voix. Je lui en voulais de m’appeler, de me secouer, de me forcer à aller avec lui, qui était cet homme brun et fort, pourquoi était-il là ? 

Je ne voulais pas bouger, je ne voulais plus vivre à nouveau. C’était trop. 

J’ai fini par sortir du lit et me doucher, très vite, pour que Gérard ne remarque rien, parce que j’avais peur, et je suis descendue avec lui sans rien dire, je ne voulais pas entendre sa voix joyeuse, c’était trop étrange, trop anachronique, je ne voyais pas comment j’allais pouvoir lui expliquer comment la terre avait arrêté de tourner, comment le monde était horrible et comment toute cette catastrophe était de ma faute. 

Et puis, il y avait une lettre du père Guillernoz qui m’attendait à la réception. 

Chère Brigitte,

Je t’écris pour te rappeler l’essentiel :
tu dois reconstruire ton jardin
ton jardin intérieur
peut-être que tu ne le vois pas comme ça
mais tu as laissé beaucoup d’herbes folles pousser dans ce beau jardin
et c’est pourquoi tu ne vois plus que ce fouillis 
difficile à pénétrer et qui n’invite pas au repos du regard
Pourtant, le jardin est toujours là et les belles fleurs qu’il héberge aussi

Tu le sais : personne ne peut forcer une fleur à pousser
hors de la terre
il faut semer une graine
la nourrir et l’arroser
lui apporter de l’amour et de l’attention


C’est tout un processus, un projet qui prend du temps, et c’est cela que tu dois respecter.
Et aussi respecter le fait qu’il est besoin que ce projet émerge, tu ne peux pas l’en empêcher, une fois qu’il est enclenché. 

Maintenant, c’est à toi de savoir ce que tu fais dans ton jardin, comment tu entends t’y prendre pour contribuer à sa beauté, le temps que tu y consacres et ce que tu choisis d’y apporter ou d’en retirer.

Connais-tu l’anecdote que l’on attribue au sculpteur Michel-Ange ? Quand on lui demandait comment faisait-il pour créer d’aussi merveilleuses œuvres d’art, il répondait que la sculpture existait déjà à l’intérieur du bloc de marbre, qu’il y percevait la figure d’ange qui y figurait et qu’il ne faisait que retirer tout ce qui la cachait, morceau par morceau jusqu’à ce qu’elle apparaisse au grand jour. 

Nous ne sommes que les jardiniers.
Ceux qui entretiennent le jardin.
À toi, il revient de retirer les orties et les mauvaises herbes qui cachent la beauté de ton jardin. 
N’aie crainte, les fleurs sauront grandir et resplendir au soleil. Tu n’as pas d’autre responsabilité. Aie confiance. 

« Quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié » (Mt 16, 19)

Et pour finir, chère Brigitte, rappelle-toi la prière de Saint François d’Assise que tu aimes tant. 

Va en paix. 


J’ai regardé autour de moi et j’ai vu le sourire de Gérard qui était assis en face de moi, son café à la main, l’assiette du petit déjeuner qu’il a poussée vers moi, et je l’ai prise, en lui souriant à mon tour : 

— J’ai faim et comme ça sent bon, ce matin ! Je crois que je vais mieux ! 

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