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Lucien Durand

veilleur de nuit

Droit dans mes bottes

François Fillon, juin 2020
François Fillon - Thomas Bresson / CC BY

J’ai lu hier matin dans le Progrès, chez Madame Grolleix, un article sur François Fillon, et je me suis souvenu que cet ancien premier sinistre avait une expression où il était question de ses bottes. Et cela m’a fait penser à une toute autre paire de bottes, dont je n’ai pas encore parlé ici.

Hier soir, j’ai eu de la visite, à l’heure de ma petite cigarette du soir, ou plutôt du milieu de la nuit, alors que j’observais mon renard que je continue à nourrir tous les jours avec les restes de l’auberge. Mon renard va bien, et s’apprivoise doucement en cela qu’il ne sursaute plus si je bouge une paupière. C’est un grand accomplissement, mais le renard n’est pas le sujet de mon histoire d’aujourd’hui. La visite non plus, mais j’en cause un peu parce que j’ai été ému par la demoiselle qui, sans rien dire, s’est assise près de moi. Je ne l’avais pas entendue venir, et j’ai bien vu qu’elle avait le bourdon. Alors je lui ai tendu ma clope, qu’elle a prise sans un mot. Et puis elle a posé sa tête sur mon épaule. Instant magique… je n’ai pu murmurer que deux paroles d’encouragement, la gorge serrée. Et puis elle est remontée dans sa chambre, je crois, envolée comme un papillon de nuit qui aurait juste effleuré ma joue.

Revenons à nos bottes. Certains se demanderont comment je fais pour m’approvisionner en herbe-qui-fait-rire, au fond des montagnes, bien loin des cités mal famées où l’on trouve généralement ce genre de produits. Est-ce une connexion jurassienne ? Des provisions apportées dans mes bagages et enterrées dans le jardin de Madame Grolleix à mon arrivée ?

Que nenni, c’est à la fois plus simple et plus compliqué : il suffit d’avoir un cousin dans le midi, une paire de bottes en caoutchouc, et un peu de chance, car il en faut toujours un peu, de la chance, pour échapper à la vigilance de la maréchaussée. C’est la combine à Lulu, éprouvée depuis plus de vingt ans, que je vous livre ici, vous mes lecteurs hypothétiques sur ce blog qui n’est ouvert à aucun visiteur car je n’en ai jamais communiqué l’adresse. Je ne risque donc pas grand-chose à le faire.

Donc pour commencer, il faut un cousin dans le midi. Ça peut marcher avec un frère, une belle sœur, une tante ou un ami dans une autre région, mais je n’ai pas essayé et ne garantis donc rien. Si vous avez le choix, prenez le cousin. Pour ma part, je suis bien servi, puisque j’ai bien le cousin qu’il faut, et avec qui j’entretiens de très bons rapports, c’est important même si nos rapports sont surtout épistolaires car je ne vais pas souvent le voir, mais passons sur ces détails. Un autre détail en revanche est crucial : il faut que le cousin ait un accès au produit voulu, et avec le mien ça tombe bien puisqu’il est cultivateur. De la bonne qualité, élevée en plein air au soleil de la Haute Provence, et amoureusement récoltée à la main, garantie sans aucun produit chimique.

En second lieu, il faut une bonne vieille paire de bottes en caoutchouc. Le caoutchouc a son importance, en cela qu’il garde pendant des années une odeur caractéristique et puissante, et qui se mélange bien avec l’odeur des pieds, ce qui couvrira généralement l’autre fumet, qui intéresse beaucoup les chiens et les gendarmes. Gendarmes qui eux aussi ont des pieds, engoncés dans des bottes, notez bien ce détail, avec une odeur que les chiens aiment bien et qui leur est familière, celle de leurs maîtres. Partant de là, il suffit alors de remplir la pointe d’une des bottes, ou des deux si l’on veut faire des provisions qui durent plus longtemps, avec un petit sac bien emballé dans du film alimentaire et poussé bien au fond pour qu’on ne le remarque pas trop vite si le colis venait à être ouvert. Le colis parce qu’on envoie bien évidemment les bottes par la poste.

Ensuite, il faut de la chance. Elle est grandement facilitée par le masquage olfactif, et un petit mot bien en évidence sur le dessus du paquet. Ce petit mot doit être écrit d’une main grossière comme celle d’un paysan au sortir de sa dure journée de labeur, au gros feutre noir, et avec quelques fautes. Quelques taches de terre sur le papier, mais pas trop, complètent l’artifice.

Le mot contient seulement ceci :

Cher Lucien, tu as oublié tes botes dans mon garage la dernière foi. Je te les rend. Affectueusement. Dédé.

Et hop ! Emballé c’est pesé, mon cousin envoie le paquet, que je vais chercher à la poste ou qui me sera directement livré par le facteur, c’est selon. Dès réception, je les lui renverrai, sans le produit bien entendu, avec un mot du même style. On ne va pas acheter une paire de bottes à chaque fois.

Les bottes ne voyagent jamais chargées vers le cultivateur, qui est celui qui risque le plus. Quant à moi, en cas de problème, je pourrais toujours prétexter ne pas connaître cet expéditeur qui a utilisé un faux nom. Ou refuser de le dénoncer, si le pandore est un peu fin, ce qui peut arriver. Et avec mes soixante balais passés, je ne risque qu’une nuit au poste, une amende et un rappel à la loi. Cela n’est jamais arrivé, en plus de vingt ans, preuve que le coup des bottes est efficace.

Et voilà comment mon Lulu peut se permettre une petite relaxation bien méritée après chaque journée de labeur. Le métier et l’expérience, il n’y a que ça de vrai.

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