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Morette Percale

Chambre 8

Histoire de bacchante(s)

Très paresseuse encore, cette semaine. Beaucoup rêvassé. Et surtout beaucoup lu. La bibliothèque est agréablement fournie. C’est d’ailleurs un point fort de cette auberge. Dans les pays anglophones, la table de nuit abrite souvent une bible : texte ardu, traduction sans poésie mais utilité certaine en cas d’insomnie. En France, par contre, tout au plus parvient-on à mettre la main sur le journal de la veille (celui du jour vient d’être emprunté). Si l’établissement est situé près d’une station de la SNCF, il arrive qu’un roman « de gare » s’y soit égaré. À prendre avec des pincettes, ce roman : comment savoir qui en a corné les pages, en quelles circonstances, dans quel but ? Mais quelquefois, une surprise vous attend, comme dans cet hôtel lyonnais qui avait connu des jours meilleurs : sous le lit, remplaçant un pied du sommier, un Gaffiot. Un Gaffiot ! Il faut avoir vécu l’émoi des versions latines pour saisir l’importance de cette découverte. Grand ouvert sur l’oreiller, dans le rond de lumière de la lampe de chevet, il avait livré ses pages denses comme des colonnes de fourmis, ses lignes parfois un peu floues d’avant l’impression numérique, ses listes interminables de mots latins avec leurs accents… comment dit-on, déjà ? Ah oui, diacritiques.

Que l’amour du Gaffiot n’égare personne ! Il s’agissait seulement ici de louer la bibliothèque de l’Auberge, qui offre des ressources intéressantes. Est-ce celle de la patronne ? Ou bien a-t-elle récupéré tout ça dans une brocante ? On y trouve en tout cas, planqués derrière les polars de rigueur, un antique catalogue de la Manufacture française d’armes et cycles de Saint-Etienne (année 1912), quelques éditions plus récentes de l’Almanach Vermot, le célèbre manuel de savoir-vivre Convenances et bonnes manières de l’immortelle Berthe Bernage. En farfouillant, c’est d’ailleurs toute l’œuvre de cette dame qui apparaît, les sages Brigitte, les frais Elisabeth et les poignants Marguerite, même les joyeux Giboulée. Comme égarés parmi eux, des volumes plus échevelés : Les hauts de Hurlevent, Jane Eyre, Orgueil et préjugés… Pages craquantes, léger parfum d’humidité… pur bonheur ! Autant dire que la semaine a été riche en relectures nostalgiques. Vague à l’âme…

Après plusieurs jours sous perfusion romanesque, on ne voit plus la vie du même œil(1). Chaque regard masculin brûle d’un feu sombre comme celui de Heathcliff. Que dire alors des regards qui ne se posent pas ? De ceux qui vous frôlent, vous esquivent, reviennent puis plongent ailleurs ? Tel celui de Leandre, l’homme de chambre. Un poilu. N’entendez pas par là un ancien combattant mais un velu. Un dont la toison pousse dru sur les avant-bras. Un qui porte moustache. Et quelle moustache ! À faire trembler de jalousie les vibrisses de Bastet et Pattenrond. Une moustache guidon, large à la racine, dont les extrémités effilées se courbent vers le haut. Une moustache shampouinée chaque matin, cela ne fait aucun doute. Séchée à la serviette. Méticuleusement peignée. Cirée. Lustrée avec amour. Plus qu’une moustache : un poème ! une œuvre lyrique ! En un mot : une moustache qui a de l’esprit. Comment ne pas kiffer celui qui arbore cet éclatant symbole de virilité, et plus encore lorsque son prénom rime avec « tendre » ?

(1) Bon… la bouteille de sapinette qui n’est pas restée planquée au fond de l’armoire y est peut-être aussi pour quelque chose…

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