Chère Amie,
La petite réflexion de Maxime a fait son chemin depuis dimanche. J’ai dû la prendre comme un défi à relever. Je ne suis pas de ce genre-là pourtant, pas comme vous. Il s’avère que dernièrement je le deviens de plus en plus. Quelle influence avez-vous sur moi très chère !
Toujours est-il que je me suis davantage intégré aux personnes évoluant dans l’auberge. Jusqu’ici j’avais peu parlé en dehors des banalités, bonjour-bonsoir, la météo. Cette semaine fut différente.
En écrivant ceci, je viens de me rendre compte que vous ne m’avez jamais vu en dehors du cadre professionnel. Nos échanges en ont depuis longtemps débordés, mais dans les faits, non.
Bref.
L’autre soir, je sortais du salon, lorsqu’une femme m’a demandé ce qu’il y avait comme livres dans la bibliothèque. Le choix en est large et très éclectique, ce que je lui explique. Nous échangeons sur son contenu puis elle finit par me dire ce qu’elle recherche, un livre de savoir-vivre. Très étonné, je n’ai pu m’empêcher de lui en demander la raison.
Cela nous a emmener loin. Nous avons ainsi parlé d’être en société, de ce qu’est une société. Je ne sais pas trop comment nous en sommes venus à discuter de ce mouvement social original né dans la région. Ce que j’évoque dans le cours magistral d’histoire contemporaine des deuxièmes années. Le plus connu, adepte de Fourier, est ce Victor Considerant dont on ne parle plus guère, d’ailleurs.
Cela nous a permis d’échanger sur les utopies sociales, que j’ai pu aborder grâce à nos discussions sur le sujet. Je l’ai sentie sensible à ce courant, tout comme vous. Aime-t-elle le coté vie en communauté, celui de l’égalité ou encore ce rapprochement avec la nature ? Je ne saurais vous dire. Peut-être un peu des trois.
Mallia (je ne sais si son prénom comporte un ou deux ‘l’), séjourne seule, dans la chambre à l’opposé de la mienne. C’est une personne d’une grande simplicité. Je veux dire par là qu’elle semble prendre les choses le plus simplement du monde. C’est ce que j’ai compris à travers ses propos sur la société et les utopies sociales. D’ailleurs, je crois qu’au fond, c’est une des raisons qui l’ont mené à chercher ce fameux livre de savoir-vivre. Mais peut être me trompe-je.
Elle a son franc parlé aussi. Elle ne s’embarrasse pas de fioriture quand elle parle, elle ne fait pas d’effet de manche. C’est surprenant mais somme toute assez rafraichissant. Elle est l’image de la bohème, de celle de Rimbaud et ses poches percées, avec son jupon blanc et sa blouse quand elle remonte du lac après sa baignade quotidienne. Je le sais parce qu’elle a les cheveux mouillés et une serviette au bras. Et pour cela je suis très admiratif de son courage.
Je me suis aperçu également, que j’agissais parfois en fonction des quelques bribes de conversations que je pouvais surprendre. Ainsi, ayant surpris le premier jour, un regard de ma voisine June, j’ai compris que j’avais fait trop de bruit en réaménageant la chambre. Depuis, je m’efforce de faire le moins de bruit possible. Jusqu’à marcher pied nu, fermer portes et fenêtres le plus doucement possible, ou encore ne pas lancer la bouilloire après 21heures. J’ai remarqué que le factotum, Henri, s’affairait souvent autour de la barque. C’est un pêcheur, l’endroit s’y prête et je trouve que cela correspond à la personne qu’il donne à voir. Un peu nonchalant, comme je l’ai déjà dit, un peu bourru parfois, et assez solitaire. Il disparaît des pans entiers de l’après-midi. Quand je l’ai vu avec la fille de la propriétaire (il faudra que je vous en parle, il y a à raconter, une autre fois), donc avec la petite il est gentil, doux même, dans son regard posé sur elle. J’aimerai parler pêche avec lui, peut-être même de lui demander de m’emmener avec lui-même si je n’y connais rien. J’ai l’impression que je passerai un bon moment. Henri porte le patronyme de Bonaventure et me fait irrémédiablement penser à la Gaspésie[1]
Nos échanges me manquent…
Bien à vous chère Amie
P. V
Note
[1] Péninsule située au centre-est du Québec
1 Commentaire de Malia -
voici une bien jolie page, un personnage plein de délicatesse. Malia y est bien esquissée. Elle apprécie !
2 Commentaire de Sacrip'Anne -
La Gaspésie m’évoque des souvenirs anciens et chers. Merci de les avoir réveillés.
3 Commentaire de Avril -
On devrait tous être un peu comme ce Vergnes respectueux de la tranquillité de ses voisins. Sans que ça vire à l’obsession non plus, hein ! ;)
4 Commentaire de AkaïAki -
@Avril> Si seulement mes voisins de résidence pouvaient être ainsi !
5 Commentaire de AkaïAki -
J’aime l’heure de publication, comme un clin d’œil d’historien en histoire contemporaine et son Printemps des Peuples
6 Commentaire de TarValanion -
Mais avec tout ça, ils n’ont pas trouvé de manuel de savoir-vivre, si ?
7 Commentaire de Malia -
Si si, TarValanion :-)
8 Commentaire de Johannes Herrmann -
C’est incroyable. Il y a au moins vingt ans que ce nom de “Victor Considerant” me revient de temps en temps en mémoire, vous savez, comme une bribe de souvenir d’enfance trop fragmentaire pour savoir à quoi diable elle peut se raccrocher. J’ai dû lire ce nom le diable sait où, et comme, je ne sais pourquoi, Google ne me donnait rien à son sujet, j’avais fini par me dire que ce devait être une déformation quelconque, un patronyme ne se rapportant à rien, et que je n’aurais jamais la réponse.
Grâce à vous, je sais ! Merci de tout coeur !
9 Commentaire de P. Vergnes -
@Malia> Merci Malia. J’ai beaucoup aimé le texte en contrepoint.
@Avril> Parfois la volonté de bien faire peut virer à l’obsession… parfois ;-)
@AkaïAki> L’histoire sait se faufiler partout lorsqu’on a l’œil et surtout la passion ;-)
@Johannes Herrmann> Touché et heureux…
10 Commentaire de samantdi -
Très joli texte, ce personnage est tout en délicatesse.
11 Commentaire de Ginou -
Ce Paul Vergnes a plus que du savoir vivre: il sait écrire, délicieusement, délicatement !