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Brigitte Audiber

Chambre 10

La confession

Hier mardi, j’ai pris la route de bon matin pour aller à Viry et assister à la messe de neuf heures. Une petite heure à vélo. Gérard n’avait pas besoin de m’accompagner, je voulais profiter de l’occasion pour me confesser. Dimanche, Gérard était rentré tard dans la nuit, je l’ai laissé dormir le plus tard possible, même s’il m’avait tellement manqué la veille et je piaffais d’impatience de pouvoir parler avec lui. On n’a pas été à l’église tant pis.

Gérard n’avait pas besoin d’assurer la maîtrise du chœur contrairement au remplacement de dernière minute à Saint-Claude comme le dimanche précédent et il avait bien mérité son repos dominical, surtout après la semaine intense qu’on venait de passer.

J’ai appris que ça ne servait à rien de me précipiter sur mes envies et mes obsessions. Alors, j’ai pris ce temps de pause dominicale forcée pour observer mon homme endormi et apprécier ma chance inouïe.

Je me retiens toujours de passer ma main sur sa peau, toujours aussi souple et douce malgré les années de soleil et d’épreuves qui auraient dû la parcheminer ou la  rendre rugueuse. Je me retiens toujours de passer ma main dans sa chevelure : il déteste déjà tellement ça quand il est éveillé, alors, tu penses, quand il dort, c’est le sacrilège suprême.

Ses boucles désordonnées sont beaucoup moins épaisses que lorsqu’on s’est connus et j’admire son indifférence aux marques de l’âge, les pattes d’oie et les sillons qui se creusent d’autant qu’il sourit tellement. L’ombre bleue de la peau piquante qui se dessine sur l’oreiller blanc qu’il étreint de ses bras puissants,  et la sensation de détente que procure le rythme régulier de sa cage thoracique si bien entraînée par les décennies de travail, tout cela me remplit d’une bouffée d’amour et de paix.

La semaine écoulée avait passé à la fois si vite et si magistrale de lenteur. Les centaines de photos que Gérard a prises l’occuperont pendant des heures quand il faudra les trier et les authentifier, je n’ai pas son œil et sa mémoire infaillible pour tous les détails qu’il enregistre, la lumière, la météo, l’emplacement, les paroles même brèves échangées à cet endroit précis, son cerveau est une machine extraordinaire de précision !

De mon côté, je griffonne et je rature. J’emporte le carnet partout et je reviens avec seulement quelques lignes que j’ai tout de suite envie de brûler. J’ai commencé un herbier, mais je n’ai pas la patience de faire les recherches pour identifier et nommer les brins et les fleurs que j’ai ramassées, les noms sont compliqués et je m’agace de ne pas les comprendre sans y passer des heures. Et c’est l’heure des repas avant d’avoir pu finir quoi que ce soit. 

J’essaye d’être présente, mais ce n’est pas encore facile. Il m’encourage d’un regard, d’un sourire, et j’en ai tellement besoin. Alors du coup, je le guette, je m’accroche, et je n’arrive pas à faire le tri dans les bourdonnements autour de nous, les autres personnes qui nous entourent et c’est beaucoup de bruit pour moi dans le tumulte de mes émotions que j’essaye tant de calmer pour pouvoir fonctionner en apparence normale.

Alors, je n’aurais pas tenu jusqu’à dimanche prochain pour me rendre à l’église en ce moment. 

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Par chance, c’est Père Guillernoz qui officie cette semaine dans la paroisse, et il m’écoute toujours avec bienveillance. Oui, quelle chance que ce soit lui qui vienne à Viry le mardi. C’était un signe.

Comme j’ai aimé cette excursion en solitaire et en silence ! Le vent en face à l’aller, dans le dos au retour, le soleil revenu sans le moindre nuage, la température absolument parfaite pour moi, un véritable cadeau du ciel et de l’été.

Je ne savais pas si Gérard allait m’avoir attendue avec reproche d’avoir sauté le petit déjeuner et me forcer à me rattraper pour la journée, et je n’allais pas commencer à mentir juste après avoir reçu l’absolution, et il était tout sourire, sachant déjà ce qui se passait dans ma caboche quand j’ai remisé mon vélo.

“Brigitte, je t’aime, tu es resplendissante avec ces bonnes couleurs” m’a-t-il seulement dit en m’enlaçant et me soulevant comme la plume que je sens être uniquement dans ses bras.

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