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Malia Walander

Chambre 14

"Si Adèle reste un ange, je lui confierai les phasmes".

- Dis Malia, pourquoi tu piques plein de trucs dans le potager ?




C’est comme ça que la gamine de Jeanne m’a entreprise tout à l’heure. Faudrait pas qu’elle évente auprès du petit personnel mes descentes, sans quoi je vais devoir me justifier, rien que l’idée me débecte.

- J’pique pas plein de trucs ! … Je me nourris, c’est tout !



- Ben pourquoi tu prends pas ton souper avec les autres et puis jamais de panier-repas ? T’es sûre que t’es normale ?

Là, elle m’a bien fait rire.

- Parce que tu trouves normal, Adèle, de manger des gâteaux , de la crème mousseuse au chocolat, des tartines de sarrasin noyées de miel ou boire au point de déraisonner et d’avoir une binette de baba au rhum ?

La petite s’est un peu renfrognée à ces mots, puis elle m’a lancé vertement ce caillou :

- D’abord, Gaston et Henri, ils disent que t’es une illuminée !

Là, ça m’a fichu le cafard, je n’ai vu le coup venir. Ainsi les pépères de l’auberge ne sauraient pas apprécier la gentillesse et la prévenance la plus élémentaire… Quels empapaoutés, ces grincheux ! Deux fossiles en bermuda ! De plus dignement, j’ai résumé :

- Bah, tu sais, on n’ peut pas plaire à tout le monde, c’est comme ça. Ma mémé disait : N’est pas beau qui est beau : est beau qui plaît ! Ben là, je leur plais pas, c’est simple comme a + b. Mais suis-moi plutôt.

- Où qu’on va ?

- Au potager, p’tite pomme ! Olgaaa ? Viens ma douce, pose-toi sur l’épaule d’Adèle… C’que vous êtes superbes, toutes deux. Iris et son écharpe…

- C’est qui, Iris ?

- Demande à ta mère, je suis sûre qu’elle saura.

Au potager :

- Alors, pas bête, mon collier, hein ? C’est un modèle inédit de la place Vendôme ! Adèle, il est pour toi !

- Mais c’est rien qu’une ficelle avec des carottes enfilées dessus !

- Pardi bien sûr ! Et si t’as un petit creux, tu croques une carotte ! Je te parie un melon du Gaston que June East, la starlette de l’auberge, voudra le même très vite.

- Bof ! J’crois pas… Dis, Malia, c’est vrai que tu te baignes au lac toute nue le matin ? T’as pas froid ?

- Ben oui, c’est vrai et oui encore, j’ai froid. Mais ça fouette le sang, et puis comme ça, je me remue un peu… Tu sais à mon âge… Je suis pas un tendron !



- T’as pas de maillot ?

- Pourquoi ? C’est si important que ça ?

- Ben, comme dit Maman, t’es à poil, quoi !

- Je vais te dire le creux de ma pensée, Adèle : on devrait jamais être gêné par la nudité. C’est naturel. Comme on doit laisser qui le veut gober les œufs du poulailler. Je fais ça, oui, comme un renard, j’agis ! J’adore aussi croquer les premiers petits pois, accroupie entre deux rangs, guetter les premières courgettes et les préparer en julienne, dans ma chambre. En étant soi-même, on ne fait rien de mal. Tu comprends ?

La petite m’a souri si franchement, si clairement que j’en ai eu le bout du nez qui pique. La suite, ça a été une partie de rigolade à la balançoire, Adèle arborant son collier de carottes fièrement devant le monsieur dont je ne connais que le prénom, Paul, je crois. Si Adèle reste un ange, je lui confierai les phasmes.
Ca la responsabilisera, la cocotte.

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