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Calliste Saunier

Chambre 13

Reprendre possession de soi

Notes pour récit à mon abruti de psy

  • je doute beaucoup de ce que je peux apporter aux gens, quoi qu’ils attendent (ou n’attendent pas de moi)
  • force est de constater, toutefois, que les rencontres de ces derniers jours m’ont fait plus de bien que de mal. Les respirations sont de plus en plus longues et profondes entre deux moments plus douloureux
  • il semblerait que vous ayez raison, cher abruti de psy. Une fois qu’on éloigne pour de bon le problématique emploi, ça va mieux. Il y des cicatrices, des doutes et des blessures, mais je me reconnais de mieux en mieux.

Ces derniers jours ont été curieux. Curieux par rapport à ma vie d’il y a encore peu de jours. J’ai vu beaucoup de gens, parlé un peu. Bien sûr j’ai eu souvent besoin de retourner dans ma chambre, de m’isoler, de ruminer parfois, d’aller appuyer aux endroits qui font mal.

Mais il y a eu tous ces moments aussi où je me suis RECONNUE ! Calliste, celle que j’étais avant d’être si abîmée et que je croyais définitivement disparue, a pointé le bout de son nez. Elle a pris plaisir à sourire, à rire, à parler. À découvrir des gens, s’intéresser à autre chose qu’à son nombril. Elle. J’ai !!! Mon abruti de psy me dirait qu’il ne faut pas que je me dissocie de moi-même. Bref. Je me sens mieux. Je ne m’attendais pas à ce que ça soit possible.

J’ai rencontré cette jeune femme, Irène-Aimée. Elle pourrait être la fille des patrons de mon entreprise, elle vient de ce genre de sérail. Et pourtant elle doute. Je n’ai pas osé trop la pousser, je ne veux pas prendre de responsabilités qui ne soient pas les miennes dans sa vie, mais j’aimerais l’aider à gagner tout le temps que j’ai perdu à attendre le prochain vendredi soir, les prochaines vacances, le prochain pont, à regarder fuir les années dans une course infernale contre le temps mangé par le travail et sa souffrance.

Elle a l’étoffe pour faire autre chose, il me semble. J’aimerais bien la revoir, je ne sais pas trop comment lui proposer de passer du temps ensemble. Je ne veux pas être pour elle la vieille conne qui l’assomme de conseils péremptoires. Mais j’ai l’impression qu’on a des choses à s’apprendre mutuellement.

Je suis allée à la plage avec Cora, aussi. Elle attend que son mari la rejoigne, elle n’a pas l’air terriblement impatiente, ou plutôt comme résolue. Elle m’a surprise avec son air de trouver que mon boulot était plus pénible que le sien. Certes je me fais des nœuds au cerveau et je suis bien placée pour dire que ces nœuds ont des conséquences fâcheuses, mais je n’ai pas, comme elle, les horaires imposés et qui mangent sur la vie de famille, les charges à soulever et passer devant la caisse toute la journée, le mépris des clients, la fatigue constante des muscles… Je ne sais pas si elle a intériorisé tout ça avec les années. En tout cas elle a été charmante, j’ai essayé de ne pas trop m’étendre mais ça m’a fait du bien de me confronter à quelqu’un qui a un métier utile aux gens. Ça me donne du grain à moudre.

Et oh ! J’ai bien ri quand on a vu une jeune fille se dévêtir intégralement et se mettre à l’eau. Cora avait un petit air surpris / indigné. Moi j’ai surtout ri devant l’élégance de ce naturel, et la température de l’eau que j’avais goûté du bout du pied. Trop froid pour moi ! Mais j’admire, j’aimerais avoir son aisance avec son corps. J’aimerais que ça soit si facile pour moi de me mettre à poil, littéralement ou pas. Bref, un bon moment. Je me demande à quoi il ressemble, son mari, tiens.


Et puis Artus. On a donc dîné ensemble le soir de la promenade à vélo. ll n’a pas vu le magnifique bleu en formation sur ma cheville lié à une rencontre un peu trop brutale avec ma pédale. Enfin quand je dis qu’on a dîné ensemble : il fallait compter avec Mathilde et Adèle. Il avait eu cette idée si mignonne d’installer les filles à une table ensemble, mais évidemment elles n’en pouvaient plus de toutes ces choses à nous raconter.

Je n’y connais toujours rien en enfants, mais je crois que Calliste de 8-10 ans aurait adoré avoir sa table et aurait tellement explosé de joie d’y être qu’elle aurait également fait part de ses émerveillements aux adultes toutes les huit secondes. Mais on s’est bien amusés. Elles sont très drôles et bien dégourdies, toutes les deux, je pense qu’elles vont avoir du mal à se quitter à la fin des vacances.

Je n’en reviens pas de ce qu’on a ri, j’en avais encore le sourire ineffaçable des heures après, dans mon lit. Je ne savais pas que j’étais encore capable d’autant de joie.

Il m’a montré un peu ce qu’il peignait. J’avoue avoir été soulagée. C’est pas mal. Bon, je suis plutôt mer. Mais j’avais peur d’un truc bien ringard, façon attrape-touriste ou peintre du dimanche et c’est assez moderne, finalement, ce qu’il fait. J’aime bien son sens de la composition et de la couleur. Il faudrait lui montrer la mer, à ce type là, il n’en vit pas si loin.

Je lui ai parlé de ce qui était cassé en moi, un peu. Il m’a parlé du soulagement de reprendre sa vie en main après la séparation d’avec la mère de Mathilde. Dans le genre âme qui a souffert, j’ai l’impression qu’il s’y connaît un peu, lui aussi, même s’il pétille des yeux et qu’il a cette jovialité en lui qui rend tout plus facile.

On devait aller à la randonnée nocturne ensemble, samedi soir. Il est arrivé catastrophé quelques minutes avant le départ pour me dire que Mathilde avait mal au ventre, que ça n’était probablement rien mais qu’il serait plus tranquille en restant, si ça ne me dérangeait pas. Il est tellement adorable en père poule que bien sûr, je ne lui en ai pas voulu.

A vrai dire j’ai même été presque soulagée. Qu’est-ce que je vais faire d’un père de famille qui vit à l’autre bout de la France, moi ? Un souvenir de vacances ? Est-ce que je suis encore seulement capable de vivre ce genre de trucs ? Est-ce que je suis même en état de ressentir des choses.

Bref, je n’avais pas fini de me poser cette litanie de questions en me préparant pour la crise d’angoisse qui allait immanquablement suivre que je me suis vue à l’accueil, à demander à Madame Lalochère si malgré le délai tardif il serait possible d’avoir un panier dîner pour deux plus un petit quelque chose au cas où Mathilde aurait faim.

Et me voilà à frapper à sa chambre, panier sous le bras, à lui proposer d’installer sa fille dans mon lit et de s’emmitoufler pour dîner sur mon balcon, plus grand que sa terrasse.

Je crois que celle en moi qui a pris cette initiative savait des choses que le reste de moi ignore. Cette soirée ! Ces étoiles ! Dans le ciel, mais pas que…

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