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Malia Walander

Chambre 14

La lichette de miel à Henri

Jeudi : encore une journée paresseuse, merveilleuse… Qu’est-ce que je suis bien ici ! La journée a fondu si vite, nous voilà bientôt au crépuscule. Oh, je n’ai pas fait grand-chose. J’ai rapporté quelques livres d’en bas pour me sentir bien, comme chez moi. Et puis j’ai sympathisé avec Pâquerette. Deux-trois mots, pas grand-chose… mais le contact passe bien. Une gamine faisait le poirier devant le grand if, je lui ai fait guili-guili derrière les genoux, pour rire, l’air de rien. Le château de cartes s’est aussitôt effondré. Elle, pleine de reproche, frondeuse, m’a grogné : Ça va pas ? T’es qui, toi d’abord ? Qu’elle est drôle, la môme ! Tout à l’heure, en revenant du potager, la jupe chargée de menthe poivrée et d’une botte de navets (de ces jeunes navets que l’on a servis confits l’autre soir), je croise le factotum devant l’escalier. Un peu gêné, le gars peine à sourire. Pas normal, que je me dis (j’ai le sourire contagieux ). De plus près, je le zieute, il recule, je m’exclame : Misère ! quel sacré coup à la lèvre vous avez là ! Faut pas rester comme ça. Tenez, prenez mes navets ! Et d’une et de deux, je l’attrape par le bras et l’entraîne à l’étage. Là, on croise ma voisine, un joli brin de fille un peu languide, courtisée par un grand dadais nanti d’une gosse à couettes. Mais revenons à mon protégé : Bougez pas, je lui dis. C’est pas tout, mais où ai-je fourré ma fiasque de miel de châtaignier ? Vite, vite, que je mette la main dessus ! Le grand blessé, bras ballants, jusqu’ici immobile, sur le pas de la porte se met à danser d’un pied sur l’autre, avec des : “C’est rien madame, c’est rien, ça va cicatriser tout seul, je vais y aller, vous savez, j’ai du travail…”. Pas question ! que je lui réponds, faut pas rester comme ça mon ami, c’est pernicieux de gratter ses croûtes tout le temps. Je connais ça avec Olga, l’oiselle, la pauvrette s’arrache les plumes (les bleues, figurez-vous ! pourquoi seulement les bleues) dès qu’elle stresse, dieu merci, il y a des solutions à tout. Elle a le blues, vous dites ? Pourqu… ah mais oui, bien sûr, vous avez de l’astuce, vous ! Oh et puis, pas de chichis : moi, c’est Malia, Malia Walander, de Paris, quatorzième… et toi, c’est Bonaventure, Henri, c’est ça ? Ah ! (petit rire) mais voilà le pot de miel ! Approche, approche donc, Henri, ne fais pas le timide, je n’ai jamais mangé personne. Là… pose-toi là. Malheureux ! attention à Carabine ! Hé, pousse-toi de là, brindille ! Mais non, Henri, ce n’est pas à toi que je m’adresse ! Bouge pas, Une lichette de miel sur le bobo suffit. Décontracte-toi, bon sang… Un asticot monté sur piles, voilà ce que t’es, toi ! Voiiiilààà, c’est fait. Masse légèrement, là, comme ça, doucement, juste en pinçant un peu les lèvres. Quoi, ça colle ? (Grand rire) Pour sûr que ça colle, c’est normal, mais avoue que c’est du nanan, le miel, et ça guérit un bonhomme comme toi en moins de deux ! Il faut ce qu’il faut !Tu peux garder le reste, et sucre-toi bien les babines d’ici demain. Et surtout, ne bois rien au goulot, ni n’embrasse trop, c’est trop frais.

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