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Calliste Saunier

Chambre 13

Il y a des humains à bord

J’étais donc en pleine crise de larmes, emportée dans l’œil d’un cyclone intérieur qui me chamboulait et m’empêchait même de reprendre mon souffle…

… quand j’ai senti des mains fines, osseuses sur mes épaules. Des mains posées, sereines, comme pour me garder stable dans ma tornade intérieure. Des mains qui m’ont, finalement, attirée vers l’extérieur. Ces mains élégantes appartenaient à une dame très mince, avec un beau turban qui faisaient ressortir ses yeux magnifiques.

Nous avons parlé un peu, pas tant. Je lui ai dit sans trop m’étendre que les derniers mois avaient été difficiles. Elle m’a répondu des gentillesses. Je vois bien dans son regard, dans ses phrases interrompues, parfois, que tout n’est pas simple pour elle.

Mais enfin c’est la première fois depuis des mois que quelqu’un me tend la main. Quelqu’un qui n’est pas payé pour. J’ai pris conscience, à nouveau, qu’il y avait un monde en dehors de L’Eole [1]. Un monde dans lequel les gens ne savent rien de nos querelles internes, des toxicités managériales. Repliée sur moi comme je l’étais j’avais oublié la présence d’autres humains à bord. Merci, merci, Brigitte. J’aimerais trouver un moyen de la remercier de m’avoir montré un peu d’espoir, du bout de ses longs doigts fins. A elle et à Cora qui m’a gentiment proposé un après-midi à la plage demain.


Et puis mardi matin, on frappe à ma porte. Un grand type dans le genre un peu artistico bon à rien au regard charmant, avec un solide accent du Sud Est. Artus Constant, s’est-il présenté. Artus qui me dit qu’il n’a pas osé m’aborder au restaurant, mais qu’il pensait que le grand air montagnard me ferait du bien, que ça soigne tout, l’air des montagnes (même quand ce ne sont pas les Alpes, a-t-il précisé curieusement).

Bref, ce type est peintre et m’a proposé de venir faire du vélo avec lui jeudi pour découvrir les environs. J’étais tellement estomaquée que j’ai dit oui et j’ai fermé la porte en gloussant à moitié.

Mais bon, ça n’est pas tout de glousser. Entre les mails comminatoires de mon chef qui ignore le fait que je suis en arrêt maladie, les nuits écourtées par les alarmes incendie et…

… comment dire ça ?

Je n’ai pas fait de vélo depuis… je dirais bien 25 ans, à vue d’œil. Alors certes il paraît qu’on n’oublie pas. Mais enfin quand même, je me suis assez ridiculisée pour un séjour.

Alors depuis je cherche sur internet “faire du vélo adulte”, “réapprendre à faire du vélo” “peur de tomber à vélo”. Bref. C’est la panique. Il va me prendre pour une grande débile. Pas étonnant que la fille se mette à chialer, elle ne sait même plus si elle sait faire du vélo.


Bref, tout ceci m’a bien occupée jusqu’à tout à l’heure. Les genoux tremblants je l’attendais près de l’endroit où on récupère les vélos loués. Et je le vois débarquer avec une mominette toute en fossettes. Elle, extasiée de faire un tour à vélo avec son Papa. Son PAPA ! Et lui visiblement contrarié. Ruminant, même (en montagne, ça s’impose).

Il m’a grommelé trois mots comme quoi la mère de la gamine, son ex, lui avait fait la surprise de lui envoyer la petite en vacances imprévues.

Elle m’a bien sauvé la mise, la Mathilde. Je n’y connais rien aux enfants sauf qu’ils sont impitoyablement francs. Je lui ai dit “Couvre moi, je ne sais plus faire de vélo”. Elle m’a dit : “c’est simple, ça va où tu regardes” et puis “la montagne ça monte, tu devrais changer pour un électrique”.

Étonnante sagacité chez une si jeune personne. Mais j’ai fait comme elle m’a dit. Artus pédalait un peu en avant. On le voyait râler rien qu’à la façon dont il bougeait la tête et lâchait une main comme pour s’exclamer avec. Et Mathilde m’a coachée. C’est revenu pas mal, finalement.

Et au bout de quelques kilomètres j’avais mal aux joues. Oui aux joues. J’avais un grand sourire aux lèvres entre le plaisir de l’air sur le visage et de la promenade, et les bavardages de cette drôle de gamine. Et sourire en continu, surtout quand on a plus l’habitude, ça fait mal (mais ça fait du bien).

Je pense qu’elle va bien s’entendre avec la jeune Adèle, celle-ci. Ce qui au demeurant m’arrangerait pas mal parce que pour remercier son père, je lui ai proposé de dîner ensemble ce soir.

Ça fait une éternité que je n’ai pas dîné avec un inconnu, fût-il doté d’une enfant.

Je stresse un peu.

Note

[1] J’appelle ma boîte comme ça, on ne travaille pas dans le secteur de l’énergie mais on y brasse beaucoup de vent

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