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Artus Constant

Chambre 9

De la mer de glace coulant sur les joues de la dame

Hé bien je ne m’y attendais pas.

Déjà, me perdre en montagne. Je veux dire la montagne, je connais. Un peu. Je n’ai pas passé trois ans aux Beaux-Arts à me faire appeler Constant crétin des Alpes pour rien. La montagne, c’est ma vie, mon paysage, mon âme et plus modestement la base de mon métier. On ne devient pas LE peintre des paysages alpins en se baladant dans la Creuse. Mais le GPS s’est allié aux détours du Jura pour me balader à Pouleys au lieu de Pollox… Gros succès au café quand j’ai demandé l’auberge. « Mais ça fait 50 ans qu’elle est fermée, l’auberge ! Y a bien la Madeleine qui fait chambre d’hôte, l’été, mais elle a pas démarré, là… » Il a fallu que je montre ma réservation pour découvrir que j’étais à 15 kilomètres à vol d’oiseau – et 35 par la route – de mon objectif. Ça se mérite le changement d’air. Ou c’est un complot, faut voir.

En attendant, je suis arrivé à 19 h au lieu de 16 h. Il a fallu que je m’arrête pour prendre des croquis. Il y avait des vues à couper le souffle. Je ne pouvais pas les laisser filer. Et puis j’ai crevé. Le Jura ne m’aime pas. Tant pis pour lui. Je le peindrai quand même. Tout plutôt que la Mer de glace l’été. Quand on l’a connue, et représentée, et aimée comme je l’ai connue… Il faut partir. Il faut d’autres paysages, d’autres vallées, qui ne me donnent pas envie de pleurer.

Bref, une fois arrivé, après m’être demandé si je n’allais pas rater le dîner, déballé mon barda, vérifié trois fois le verrouillage du Kangoo (je tiens à mes châssis), découvert ma jolie chambre (9, c’est bien, ça, et surtout je devrais pouvoir m’installer sur le balcon) et échappé à l’interrogatoire d’une petite fille curieuse qui semble être celle de la patronne (et un sacré engin), je suis descendu dans la salle à manger. Au moins je ne devrais pas dépérir : la carte est digne du titre d’auberge, et le coq au vin jaune m’a presque réconcilié avec le Jura.

Et c’est là que c’est arrivé. Elle a pleuré. Derrière son assiette. Comme si sa vie en dépendait. Comme si toutes les digues intérieures avaient cédé d’un coup. Le glacier qui s’effondre. Je suis resté plusieurs minutes fasciné. Et au moment où je me disais que je devrais peut-être m’avancer vers elle, une autre dame s’est précipitée et l’a emmenée dehors. Je n’ai pas voulu m’interposer mais… quelque chose dans ce visage. Et si je tentais le portrait ? Il y avait tout un paysage dans sa figure.

J’ai réussi, grâce à Adèle (cette petite n’est pas si importune, au fond), à savoir qu’elle occupait la chambre 13, à l’autre bout du couloir à l’étage au-dessus. Et hier matin, je suis allé la trouver au petit déjeuner et je lui ai proposé de m’accompagner à vélo jeudi, pour aller à la rencontre des paysages. Elle a dit oui ! Évidemment, je n’avais pas prévu ce qui m’est tombé dessus il y a cinq minutes…

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