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Gaston Gumowski

chauffeur-livreur

Ooops...

Je commence à avoir du retard dans ce journal. Week-end mouvementé et bien rempli oblige. C’est donc parti pour une séance de rattrapage.

Vendredi matin donc, après une bonne douche et deux litres et demi de caféine concentrée, la casquette de plomb de la veille avait totalement disparu et ne me restait plus dans la bouche que l’amertume de cet excès de café (beaucoup trop) serré (tout de même). Avec le crâne au calme, mes velléités de jouer un mauvais tour à Henri s’en étaient allées également. D’autant que, vu l’heure, il ne pouvait pas être planqué pour une sieste mais sans doute bien occupé ailleurs. Hmmm. Ouais. Si. Accordons-lui le bénéfice du doute. J’aurai bien le temps d’avoir le fin mot de cette histoire tôt ou tard de toute manière. Seul truc qui me tarabiscotait encore : avoir dû entasser/planquer les cartons sous le comptoir de la direction et ne toujours pas avoir rencontré cette arlésienne de Jeanne. À me demander si Henri ne m’avait pas raconté des craques…

C’était donc tout vu : direction l’auberge pour un simple coucou-bonjour-comment-ça-va-c-est-vous-jeanne-moi-c-est-gaston, et hop. J’aurai l’occasion d’improviser la suite du programme de ma journée à ce moment-là. Ciel bien gris. Résidu d’humidité. Peut-être bien encore de la pluie pour aujourd’hui. Paquet de clopes en rab, thermos de café, casquette, blouson en cuir jetés sur le siège passager du Toyota, j’avais tout prévu pour m’éviter de mauvaises surprises. Tout ou presque. Je n’aurais jamais pu imaginer que le Toyota serait aussi capricieux, lui qui démarre au quart de tour depuis que nous nous connaissons. Il avait fallu insister. Et dès les premiers tours de roues, j’avais tout de même cette sale impression qu’il n’était pas loin de tourner sur trois pattes. Le doute ne fit que grandir lorsque, me garant bien proprement devant l’auberge, il cala dans un bruit proche d’un étouffement. Allons bon ?!

Pas eu le temps de descendre de l’engin que l’ami Henri débarquait, toutes dents dehors avec un tonitruant « Oh putain ! Tu tombes bien, garçon ! »

— Ah ça… Je ne pourrais pas en dire autant de toi, mercredi…
— Quoi mercredi ? C’est du passé mercredi. On va pas casser la tête sur mercredi. Dis, la petite patronne m’envoyait chercher un consultant parisien supposé lui prêter main-forte pour tenir la boutique. Sauf que je n’ai que son Combi et je le sens bien pour nous faire des misères d’ici à l’avoir bien remis en état. T’as l’temps pour un saut de puce jusqu’à Vulvoz ?
— Vulvoz ?! Qu’est-ce qu’il fout à Vulvoz votre type ?
— Ah ça…
— OK. Rien au programme. Je repasse débâcher la Skoda et je file.
— Oublie la Skoda : tu es déjà à la bourre en partant maintenant.
— Putain…
— C’est bon pour toi ?
— Ouais. Ouais.
— Pis… Casse pas la tête ! Paraît qu’il cherche l’aventure, le bonhomme. Au pire, on le défroissera un peu à l’arrivée, quitte à lui réaligner quelques vertèbres.

Portière refermée dans un éclat de rire partagé. Et nouveau caprice du Toyota au démarrage. Sérieux, cette fois. Et Henri qui trouvait le moyen de me chambrer avec un « Tu fous quoi ? Tu veux le noyer, ton gros bébé ? » Le moteur vrombit d’un coup, crachant un énorme nuage de fumée au passage, que seul un gouvernement des années quatre-vingt aurait pu nier. C’était reparti, sous l’air toujours goguenard d’Henri. Marche arrière pour me remettre dans le sens de la sortie. Première. Et là, j’ai senti que le bestiau s’apprêtait à caler une nouvelle fois. Que nenni, mon pote ! Que nenni ! J’ai enfoncé les pédales des deux pieds, histoire de bien lui faire prendre des tours et… Ma godasse a ripé de la pédale d’embrayage. Ça n’a que 135 chevaux comme modèle, mais avec un couple de camion et un étagement de boîte très court : il s’est littéralement AR.RA.CHÉ. Creusant quatre magnifiques tranchées et faisant valser le gravier partout à la ronde.

Je n’ai pas cherché à lever le pied, pas plus qu’à regarder dans le rétroviseur : j’imaginais très bien qu’Henri me coursait déjà en brandissant le premier objet contondant sur lequel il avait pu mettre la main. Ralentir aurait causé ma perte. Plein gaz, direction Vulvoz, donc. Enfin… Plein gaz… Si seulement. Le Toyota s’est mis à hoqueter à mi-descente pour finir poussif et pétaradant au pied d’une espèce d’Indiana Jones de pacotille, tout droit (ou presque… Quel couillon !) sorti de la capitale.

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