Il fallait donc quitter La Défense, prendre un RER pour la Gare de Lyon, un TGV pour Dole, une micheline pour Mouchard, une autre micheline bien moins récente pour Lons, un taxi pour Vulvoz (le Z est muet) et enfin une monstrasse de pickup Toyota pour l’auberge ; c’est un miracle que je sois arrivé le jour même.
C’est le Jura et le Toyota qui pétarade me semblait sorti de quelque livre d’histoires coloniales, comme on s’en régalait alors qu’on allait perdre l’empire. On aurait pu franchir une rivière à gué avec ça. Gaston, le chauffeur, n’avait dit mot sur mon peu de bagage – j’aime voyager léger et m’occuper sur place.
Je me suis mis six mois en disponibilité chez Rosserys&Wichcraft ; si l’expérience ne marche pas, ils me reprennent. Trois mois pour se former au métier sur le terrain – du vrai terrain, pas des salles de réunion et des plateaux-repas – et puis trois autres mois à récupérer et à prendre quelques vacances. C’est la mode, en staff room, de faire des césures, de l’humanitaire, d’aller se chercher au bout du monde. Mouais. Le bout du monde, je l’ai vu, deux fois, comme Chuck Norris, et je n’ai pas envie d’aller y forer des puits ou d’y construire des écoles. Le Jura me suffira, j’y ferai sans doute moins de dégâts.
Gaston répond laconiquement questions. L’auberge est restée fermée un certain temps, mort inopinée de l’ancienne propriétaire. Rénovation finie miraculeusement à temps pour l’été, même si ça sent encore le neuf. Pour le reste « vous verrez, d’ailleurs on arrive ». Je me dis qu’on pourrait trouver un attelage dans le coin, promener les enfants avec, aller les chercher à la gare moyennant un petit supplément, dès la réservation, ça servirait à nous différencier de la concurrence. Il faut que j’en parle à Jeanne. Il faut que je voie aussi les commissions que prennent Booking et les autres agences de voyage en ligne, c’est typiquement le genre de pompe à fric qu’il faut garder sous contrôle.
Après une quinzaine de minutes au milieu des sapins, ô l’odeur, (fait-on des bonbons à ça dans le coin ? Il faudrait. Mettons-en dans les chambres) ; après une quinzaine de minutes donc, je découvre enfin l’auberge (belle bâtisse massive retapée, avec beaucoup de bois) et la patronne (branchée sur le secteur). Avec les journées de 14 heures qu’on fait dans le métier, c’est plutôt un bon signe.
Jeanne Lalochère, c’est son nom (« on se tutoie ? »), ne m’avait parlé que deux-trois fois par Skype ; l’impression en réalité est la même. Du sérieux. Je la remercie de me donner une occasion de faire tout autre chose que d’habitude. Elle me fait visiter la propriété. Nous échangeons quelques propos brefs sur Constance Culmington, notre connaissance commune, qui m’a recommandé. Elle ne semble pas la connaître tant que ça. Étonnant.
Une divine surprise : c’est plein dès l’ouverture. Vraiment. Le lundi 15 juin, toutes les chambres de cet hôtel nouveau, dans un endroit perdu, sont réservées. C’est incroyable. Comment qu’elle fait ? Tant mieux. Il doit y avoir un chêne à la Vierge, non loin, qui porte bonheur. Est-ce que ça se fait ici ?
Pour le reste on a fait ce qu’on a pu dans les contraintes du bâti – il y a trop peu de place au rez-de-chaussée pour être vraiment à l’aise. Notamment : pas de bar. Choix de la patronne, que je me propose de faire changer d’avis. On marge sur le bar bien plus que sur le restaurant ; la clientèle sera faite de touristes individuels, qui rentreront assoiffés de leurs randonnées, promenades en kayak ou à cheval, bref c’est pas possible de leur dire de boire l’eau du robinet de leur chambre en attendant le dîner. Et les gamins ! « ze veux un coca cola ! ». Non, il faut faire quelque chose.
Autre point à surveiller : le wifi. Vu le coin perdu, c’est de l’ADSL donc ça risque de coincer. Vingt chambres qui veulent leur Netflix – et ils le voudront – c’est 60 Mbps en heure de pointe au moins. On en a 3. Ça va râler, ça va se voir sur Tripadvisor et pour l’instant, on ne sait dire que « c’est comme ça ». Le téléphone ? Il n’y a que la 3G, c’est mort pour les vidéos. Bienvenue dans la bibliothèque avec le colonel Moutarde et le tisonnier ; ou alors tu vas faire de la méditation transcendantale dans ta chambre.
L’équipe est plus réduite que ce que j’imaginais mais je n’ai pas encore identifié les « trous », les tâches qui ne seront faites par personne, avant que je m’en charge bien sûr. Il y a donc Gaston le chauffeur, qui est du coin, Léandre l’homme de chambre, qui a fait le tour du monde dans le service « étages » d’un certain nombre de beaux établissements, Henri l’homme à tout faire y compris la sieste, et… ça y est j’ai trouvé un trou : le chef. Enfin si, il *va* y en avoir *une* mais elle n’a pas encore dit oui. Jinette, grosse expérience. Non, Janette, pas Jinette. Il est temps qu’elle se décide, sinon bonjour les plateaux-repas et le beurrage de sandwiches en série.
Et la patronne, donc, un produit d’importation parisien comme moi, mais la famille est du coin. On s’est un peu réparti les tâches et on fera un peu de tout chacun, service en salle, réception, compta. La cuisine, vraiment, il faut qu’on fixe ça.
Les chambres sont proprettes, déco simili montagnarde, du bois de sapin. Ça me rappelle le Kempinski à Dubai, qui avait des chambres en style suisse avec vue sur la piste de ski couverte du Mall of the Emirates. Ici on a la même chose sans la clim. (Idée : soirée fondue, soirée raclette, cancoillote, trucs thématiques au restaurant. Je connais un Ibis en pleine zone industrielle à Lausanne dont le resto est plein le soir grâce à ça).
A priori donc clientèle individuelle, nature-plein air, middle class, villes des environs, tranquille. Sans doute des gamins – il faut vraiment un bar. Envie de grenadine.
Le soir, un SMS de Constance (ma femme) me demande si je suis bien arrivé. Genre, ça l’intéresse.
Il y a aussi un veilleur de nuit mais je ne l’ai pas vu encore.
1 Commentaire de Gilsoub -
Ah ben voila quelqu’un qui semble avoir la tête sur les épaules ;-) qui semble un peu plus organisé, je sens que l’on va s’amuser ! :-)
2 Commentaire de Kozlika -
Gilsoub, c’est l’idée des bonbons dans la chambre ou qu’il faut absolument un bar qui te fait dire ça ? :-P
3 Commentaire de TarValanion -
Mais quelle équipe !!
Heureusement qu’il y a la patronne et le livreur, parce que ce que je vois des autres ne me plaît pas beaucoup ! Enfin, c’est mon avis perso; si ça se trouve, tout va bien se passer.
4 Commentaire de Tomek -
Le coup du bar, ça tombe sous le sens !
PS : il y a 2 t à cancoillotte. Ah ces parisiens ;-)
5 Commentaire de Gilsoub -
@Kozlika : Les deux M’dame :-)
Souvenir d’enfance avec les bonbon “les suc des Vosges” ! T’as connu ? C’était la Vosgienne qui faisait ça ! une petite boite ronde et verte en métal !
P’tete qu’il existe des bonbons à la sève de pin du jura ?
Après j’ai aussi des souvenirs avec des bars, mais là c’est une autre histoire…
6 Commentaire de Kozlika -
Alors sinon, Denis, pour le parc naturel du Haut-Jura en principe tu peux prendre un train pour Bourg-en-Bresse (deux heures depuis Paris) puis une plus ou moins grosse heure de voiture (ou autocar, il y en a sûrement), mais c’est sûr que c’est moins pittoresque ;-)
7 Commentaire de Lilou -
Oh la la mais il est dans le jura pas à la défonce pardon la défense, c’est une petite auberge tranquille avec des gens qui viennent là pour se reposer et plus si affinité
8 Commentaire de Avril (June East) -
Après les bonbons La Vosgienne, voici Les Jurassiennes !
Ce Denis me plait bien, surtout s’il arrive à négocier l’installation d’un bar.
9 Commentaire de AkaïAki -
Comme le souligne Lilou l’auberge est dans le Jura !
Il est stressant ce Denis, tellement le type de personne qui ne regarde que les marges, les appréciations, le débit pour le net… Il en oublie ce que les résidents viennent trouver à l’auberge (c’est pas un hôtel !). Un brin condescendant, aussi, envers les clients, non ?
Oui moi aussi je fais dans le stéréotype :-P
10 Commentaire de GG -
Il sait qu’en province, sans voiture tu es quasi mort?
Il n’y aura jamais assez de véhicule pour dépanner les livraisons, aller chercher des clients restés en rade (ça va bien arrivé!) ou simplement allez se balader au-delà du lac…
Il va falloir que Mme Lalochère mette les points sur les i pour montrer qui commande… mais on peut lui faire confiance, non?
11 Commentaire de Laurent -
Quand on voit les tire-au-flanc qui se sont déclarés, c’est pas si mal de voir débarquer un gars qui semble anticiper les besoins des clients.
Question bête du lecteur : les personnages & clients sont-ils censés lire et connaître les billets publiés ici ?
12 Commentaire de Nuits de Chine -
Attention, le coupeur-de-frais-inutiles-et-de-têtes-en-passant a débarqué…
Laurent : non, les personnages et clients restent enfermés dans leur fiction. Ils ne savent pas que chacun tient un journal en ligne.
13 Commentaire de Nuits de Chine -
… dans la fiction, scrogneugneu.
14 Commentaire de TarValanion -
Merci AkaïAki, Lilou et Nuits de Chine ! Je me sens moins seul.
15 Commentaire de Avril (June East) -
Pauvre Denis. Il arrive à peine que le voilà accusé dans les commentaires de startupnationiser l’auberge. Laissons-lui le bénéfice du doute. :D
16 Commentaire de Noé -
C’est un adjoint qui se prend un poil au sérieux, mais je suis aussi pour le bar et le bénéfice du doute !
17 Commentaire de Philippe -
N’oublions pas que Denis est un personnage, hein…
18 Commentaire de Pep -
@Philippe > Oh ben faut se méfier tout de même, hein…
Ayant connaissance de certaines relations personnages / auteurs, je peux dire qu’il y en a qui sont très proches de la réalité. Tiens, prends Henri, par exemple ! :-p
19 Commentaire de Philippe -
@Pep : casse pas la tête d’Henri, l’a pas l’air commode ce bougre-là
20 Commentaire de Kozlika -
Mais mais mais… spa bientôt fini vos délits d’initiés là, Philippe et Pep ?
21 Commentaire de Philippe -
Maiheu… j’ai rien fait, moi ! Pep on en cause à la récré :P
22 Commentaire de Pep -
@Kozlika > Promis ! On va se tenir. Juré, postillonné, tout ça. :-)
@Philippe > Même pas peur, cafteur !
23 Commentaire de Philippe -
Pep : chouchou !
24 Commentaire de samantdi -
Ah moi, il me plaît ce Denis ! Je lui donne raison, un bar c’est o-bli-gé !
Il y a deux Constance dans sa vie ? Sa femme et cette mystérieuse Constance Culmington ?
25 Commentaire de Otir -
M’enfin, qu’est-ce que c’est que cette histoire de bar, voyons ? c’est une auberge ! pas une taverne !!
26 Commentaire de Pep -
Parlant de taverne, je me demande un truc…
Est-ce que Gaston a parlé à Denis de la liqueur de sapin (à défaut de bonbons à sucer), au moins ?