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Denis Carolo

directeur adjoint

Je suis venu, j'ai vu, c'est pas mal

Il fallait donc quitter La Défense, prendre un RER pour la Gare de Lyon, un TGV pour Dole, une micheline pour Mouchard, une autre micheline bien moins récente pour Lons, un taxi pour Vulvoz (le Z est muet) et enfin une monstrasse de pickup Toyota pour l’auberge ; c’est un miracle que je sois arrivé le jour même.

C’est le Jura et le Toyota qui pétarade me semblait sorti de quelque livre d’histoires coloniales, comme on s’en régalait alors qu’on allait perdre l’empire. On aurait pu franchir une rivière à gué avec ça. Gaston, le chauffeur, n’avait dit mot sur mon peu de bagage – j’aime voyager léger et m’occuper sur place.

Je me suis mis six mois en disponibilité chez Rosserys&Wichcraft ; si l’expérience ne marche pas, ils me reprennent. Trois mois pour se former au métier sur le terrain – du vrai terrain, pas des salles de réunion et des plateaux-repas – et puis trois autres mois à récupérer et à prendre quelques vacances. C’est la mode, en staff room, de faire des césures, de l’humanitaire, d’aller se chercher au bout du monde. Mouais. Le bout du monde, je l’ai vu, deux fois, comme Chuck Norris, et je n’ai pas envie d’aller y forer des puits ou d’y construire des écoles. Le Jura me suffira, j’y ferai sans doute moins de dégâts.

Gaston répond laconiquement questions. L’auberge est restée fermée un certain temps, mort inopinée de l’ancienne propriétaire. Rénovation finie miraculeusement à temps pour l’été, même si ça sent encore le neuf. Pour le reste « vous verrez, d’ailleurs on arrive ». Je me dis qu’on pourrait trouver un attelage dans le coin, promener les enfants avec, aller les chercher à la gare moyennant un petit supplément, dès la réservation, ça servirait à nous différencier de la concurrence. Il faut que j’en parle à Jeanne. Il faut que je voie aussi les commissions que prennent Booking et les autres agences de voyage en ligne, c’est typiquement le genre de pompe à fric qu’il faut garder sous contrôle.

Après une quinzaine de minutes au milieu des sapins, ô l’odeur, (fait-on des bonbons à ça dans le coin ? Il faudrait. Mettons-en dans les chambres) ; après une quinzaine de minutes donc, je découvre enfin l’auberge (belle bâtisse massive retapée, avec beaucoup de bois) et la patronne (branchée sur le secteur). Avec les journées de 14 heures qu’on fait dans le métier, c’est plutôt un bon signe.

Jeanne Lalochère, c’est son nom (« on se tutoie ? »), ne m’avait parlé que deux-trois fois par Skype ; l’impression en réalité est la même. Du sérieux. Je la remercie de me donner une occasion de faire tout autre chose que d’habitude. Elle me fait visiter la propriété. Nous échangeons quelques propos brefs sur Constance Culmington, notre connaissance commune, qui m’a recommandé. Elle ne semble pas la connaître tant que ça. Étonnant.

Une divine surprise : c’est plein dès l’ouverture. Vraiment. Le lundi 15 juin, toutes les chambres de cet hôtel nouveau, dans un endroit perdu, sont réservées. C’est incroyable. Comment qu’elle fait ? Tant mieux. Il doit y avoir un chêne à la Vierge, non loin, qui porte bonheur. Est-ce que ça se fait ici ?

Pour le reste on a fait ce qu’on a pu dans les contraintes du bâti – il y a trop peu de place au rez-de-chaussée pour être vraiment à l’aise. Notamment : pas de bar. Choix de la patronne, que je me propose de faire changer d’avis. On marge sur le bar bien plus que sur le restaurant ; la clientèle sera faite de touristes individuels, qui rentreront assoiffés de leurs randonnées, promenades en kayak ou à cheval, bref c’est pas possible de leur dire de boire l’eau du robinet de leur chambre en attendant le dîner. Et les gamins ! « ze veux un coca cola ! ». Non, il faut faire quelque chose.

Autre point à surveiller : le wifi. Vu le coin perdu, c’est de l’ADSL donc ça risque de coincer. Vingt chambres qui veulent leur Netflix – et ils le voudront – c’est 60 Mbps en heure de pointe au moins. On en a 3. Ça va râler, ça va se voir sur Tripadvisor et pour l’instant, on ne sait dire que « c’est comme ça ». Le téléphone ? Il n’y a que la 3G, c’est mort pour les vidéos. Bienvenue dans la bibliothèque avec le colonel Moutarde et le tisonnier ; ou alors tu vas faire de la méditation transcendantale dans ta chambre.

L’équipe est plus réduite que ce que j’imaginais mais je n’ai pas encore identifié les « trous », les tâches qui ne seront faites par personne, avant que je m’en charge bien sûr. Il y a donc Gaston le chauffeur, qui est du coin, Léandre l’homme de chambre, qui a fait le tour du monde dans le service « étages » d’un certain nombre de beaux établissements, Henri l’homme à tout faire y compris la sieste, et… ça y est j’ai trouvé un trou : le chef. Enfin si, il *va* y en avoir *une* mais elle n’a pas encore dit oui. Jinette, grosse expérience. Non, Janette, pas Jinette. Il est temps qu’elle se décide, sinon bonjour les plateaux-repas et le beurrage de sandwiches en série.

Et la patronne, donc, un produit d’importation parisien comme moi, mais la famille est du coin. On s’est un peu réparti les tâches et on fera un peu de tout chacun, service en salle, réception, compta. La cuisine, vraiment, il faut qu’on fixe ça.

Les chambres sont proprettes, déco simili montagnarde, du bois de sapin. Ça me rappelle le Kempinski à Dubai, qui avait des chambres en style suisse avec vue sur la piste de ski couverte du Mall of the Emirates. Ici on a la même chose sans la clim. (Idée : soirée fondue, soirée raclette, cancoillote, trucs thématiques au restaurant. Je connais un Ibis en pleine zone industrielle à Lausanne dont le resto est plein le soir grâce à ça).

A priori donc clientèle individuelle, nature-plein air, middle class, villes des environs, tranquille. Sans doute des gamins – il faut vraiment un bar. Envie de grenadine.

Le soir, un SMS de Constance (ma femme) me demande si je suis bien arrivé. Genre, ça l’intéresse.

Il y a aussi un veilleur de nuit mais je ne l’ai pas vu encore.

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