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June East

Chambre 17

Envie de fraises ?

Nous discutions cinéma au dîner d’hier avec Éric. Entre le Poulet de la Bresse et la Tarte au Quemeau, il a été surpris d’apprendre mon peu d’intérêt à vouloir tourner une comédie romantique alors que, d’après lui, je serais une incurable midinette qui a l’œil mouillé au moindre débordement de sentiments sur grand écran. « Peut-être que je veux me réserver ces émotions-là pour la vraie vie ». Il a hoché la tête. « Mais bien sûr, si tu m’en écris une… Il y a de fortes chances que… Il y aurait des résonances, ce serait différent ». Il s’est marré, en se frottant le lobe de l’oreille entre le pouce et l’index. Ce tic comportemental me fascine. Certains se passent la main dans les cheveux, lui, il se titille le lobe gauche. J’adore.

Ce petit cachotier de Javot avait comploté avec Natou pour que la Miss m’apporte une enveloppe à la fin du repas. Les surprises, elles doivent jaillir et t’exploser à la face sans que tu puisses cogiter. Parce que sinon, tu angoisses en imaginant le pire. Pour le coup, il s’agissait du meilleur ! Éric avait tout organisé pour le séjour à Venise. Départ imminent, c’est à peine si, après avoir quitté le Jura,  nous aurons le temps de refaire les bagages. Oscar sur le gâteau : les AKvAki seront de la fête ! Je n’ai même pas pu verser ma larmichette de bonheur que Natou revenait avec les coupes de champagne. Et là, j’ai gaffé en laissant entendre qu’il y avait un polichinelle dans l’histoire… Oh, elle n’a pas été bien longue à comprendre. Quand j’ai vu le sourire lui monter jusqu’aux oreilles, j’ai juste eu le temps d’attraper son visage entre mes mains :
— Shhhhh ! Respire ! Chuuuut ! Tu ne veux pas exploser de joie en plein service. Pense à Jeanne. Elle serait vaaaaaaachement déçue. Chuuuuut !, lui chuchotai-je.
— Oh non, ne m’oblige pas à faire la cocotte-minute. Je peux pas faire ça. Je suis du Sud, me demande pas ça, me répondit-elle aussi discrètement qu’elle en était capable.
— Respire, Natou, Respire ! Tout va bien se passer. Je compte sur toi. Ne dis rien à personne !
— Pitié, pitié, pitié ! Oh Fatche, tu me fais la misère là.
— Chuuuuut !
Ma pauvre copine est repartie toute rouge avec son plateau en claudiquant vers les cuisines, où un fracas de vaisselle se fit entendre. Ooops ! J’irai la trouver demain en dehors de ses heures de boulot, on pourra discuter plus sereinement et discrètement.

SMS à Comtesse AKvA :
Éric vient de m’apprendre pour Venise. Mood : Extatique ! 🤩
Impatiente de vous y retrouver tous les deux.
Ah oui, au fait…
Il ne vous l’a pas encore dit, mais nous serons 3 ! 👶🍾
Nous vous embrassons. 😘


Plus tard dans la chambre, il a lancé l’application YouTube sur ma tablette pour me passer la vidéo des Cent Plus Beaux Baisers du Cinéma Français. Enlacés tendrement, nous commentions quand nous étions touchés par une des scènes. Notre liste de films à revoir ensemble s’était à nouveau allongée. À la fin de la compilation, il me demanda :
— Question difficile ! Si tu devais n’en retenir qu’un, ce serait lequel ?
— Easy ! Le premier. Gabin et Morgan. C’est avec celui-là que tu m’as cueillie. Tu te rappelles ?

Bientôt minuit et nous étions toujours sur le lit à parler cinéma.
— Envie de dormir ?
— Pas spécialement.
— Envie de fraises ?
— Naaaan ! Pas encore !, m’esclaffai-je.
— Envie de quoi ?

Après une minute de réflexion, je lui demandai d’enfiler son peignoir, et pendant que je passai le mien, je lui dis d’attraper sa mallette de Lagavulin et ses cigares. À mon air facétieux, il sut qu’une nouvelle idée avait germé dans mon cerveau, aussi, il ne chercha pas à comprendre. Il se glissa dans ses charentaises et me suivit dans les escaliers.

Au rez-de-chaussée, Lucien leva la tête de son bureau de la réception en nous entendant arriver. Son sourcil droit vrilla en accent circonflexe comme s’il se demandait quel malheur avait bien pu nous frapper pour que nous venions (encore) lui quémander une once de réconfort. Je mis mon index sur la bouche, indiquant à notre silencieux confident que nous n’avions pas besoin de parler pour nous comprendre. Ensuite, j’ai placé Éric face au comptoir et me suis plantée devant lui, ses mains sur mon ventre. Puis je me suis cambrée pour le faire gonfler et ressortir autant que possible. Voilà, cher compagnon de nos infortunes, je m’étais fait la promesse de venir vous rendre visite le cœur léger, mission accomplie ! J’étais impatiente de voir maintenant comment il allait silencer sa réaction.

« Non ! Ce n’est pas vrai ? », dit-il en se levant, à ma plus grande surprise. Il fit le tour du comptoir et nous prit dans ses bras. « Je suis tellement content pour vous, les enfants ! Et bien, vous n’avez pas traîné ! ». Éric a rempli deux verres, je les ai accompagnés à l’eau gazeuse.

Nous discutions joyeusement quand Jeanne fit une apparition dans le hall.
— Oh ! Tu fais des heures supp’ ?, lui lançai-je.
— On a fini tard la réunion avec les employés. J’avais besoin de prendre l’air pour faire retomber la pression maintenant que tout est arrangé. Je te raconterai.
— Ne reprochez pas à Lucien le verre qu’il a dans les mains, tout est ma faute. Je l’ai obligé. Un cas de force majeure !, assura Éric.  
— Approche, Jeanne. J’en ai une bien bonne !

Jeanne s’avança lentement, intriguée.

« Quand je vois Adèle et la relation que tu as avec elle, je me dis que s’il y en a bien une dont je vais pouvoir écouter les conseils sans douter, c’est toi ! ».

 

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