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Hugo Loup

Chambre 19

Balade à Lugdunum


Je vérifie une dernière fois le contenu de mon sac à dos. J’enfile mes fausses convers noires achetées d’occaz à Saint-Claude. Avec ma jupe en jean et un simple t-shirt large vert prasin, je suis parée à toute aventure au cœur de Lugdunum. Je juche mes solaires sur le crâne et je pars rejoindre Gaston et son corbillard. Heu… sa berline confortable.

Jusqu’à l’autoroute, nous roulons au son de la musique. Jolie bande-son d’ailleurs. Etonné que je connaisse. Ça sert aussi à ça les grandes sœurs. Nous ne sommes qu’à peine plus bavards ensuite. Ça me va bien. Je regarde son profil, planquée derrière mes solaires. Je remarque aussi ses coups d’œil rapides sur mes jambes nues. C’est vrai qu’une fois assise, ma jupe se fait plus coquine. Il semble apprécié. Ça me plaît.
Tout juste 1h30 après notre départ, il gare le paquebot juste en face de l’entrée de l’Hôpital d’Instruction des Armées. Le temps que j’attrape mon sac à dos à l’arrière, il descend, à ma grande surprise. Je lui souris, lui un peu moins.
— Tu as tes brassards ?
— …
Mon humour à deux balles tombe à plat. J’aurais au moins essayé.

Lorsque nous arrivons vers les escaliers du bâtiment, j’entends un “Hé ! Minus !” retentissant. Cat dans un fauteuil roulant et Highway sont dehors, près d’un banc. Machinalement je regarde ma montre. Je suis légèrement en avance. Ils m’attendaient en embuscade, les bougres. Pauvre Gaston, plongeon direct dans le grand bain. Je bifurque et marche rapidement vers les deux affreux, hilares.
— C’est à moi que tu parles ?
— Tout juste minus ! Quelque chose à redire ?
— Highway ne la cherche pas déjà s’il te plait.
J’ai à peine le temps de dire merci à Cat qu’il enfonce le clou.
— C’est Poucelinette d’abord.
— Plutôt Liliputienne.
— Pas mal ça. Tu ne trouves pas Thomas ?
— Moui.
— Bon quand vous aurez fini, je ferais les présentations !
Je venais de réaliser que j’avais eu l’audace de réunir les trois plus grands maître ès moqueries de mon entourage. Je pressentais que j’allais devoir en subir les assauts.

Installée sur le banc entre Gaston et Highway, Cat en face de moi, la conversation s’était faite tranquille. Ordinaire. J’en profitais pour sortir le paquet de Cat, l’aidant à défaire le papier. Il fut surpris de la boule de neige so kitch de Saint-Claude, plutôt amusé dirais-je. Highway commençait à se moquer lorsque je lui tendis le sien. Quand il l’ouvrit, il la ferma. Je savourais en silence ma vengeance.
— Pourquoi elle est plus petite la mienne ?
— Pour que tu puisses la mettre dans ton sac à dos. Comme ça tu n’as aucune raison de ne pas l’emporter partout avec toi !
— Tu es cruelle !
— Il ne va plus avoir besoin de son sac à dos.
— Comment ça ?
— Je rentre.
— Tu… tu rentres ?!
— Je rentre à Saint Maix, oui.
— On me renvoie à la maison la semaine prochaine. Seulement si j’ai quelqu’un pour m’aider. Thomas c’est dévoué.
— J’ai assez marché. Pourquoi ? Tu avais des projets ?
— Non pas spécialement. C’est super pour toi, Cat. Tu vas arriver à le supporter toute la journée ? 24/24 ? Sans aucune jolie petite infirmière de temps en temps ?
— Oh hé ! C’est fini oui ?!
— Tu veux que je t’offre une panoplie d’infirmière ?
— Tu me cherches ?
— Je t’ai perdu ?
— Tu es impossible ! Pas la peine de me faire le coup du grand sourire. Ça ne marche pas avec moi.
— Ah bon ? Depuis quand ?
— Arrêtez tous les deux. Que va penser Gaston ?
— Qu’elle est égale à elle-même…
— Bien dit ! Ça fait partie de son charme.
— Hugo, je pensais aller te voir avant de partir. Au même endroit que la dernière fois ?
— Oui pas de problème. Dis-moi quand et je viendrais.
— N’oublie pas ton duvet.
— Mon duv… ? Heu… On en reparle ?
J’ai senti Gaston se contracter à la simple évocation de mon duvet. Il était grand temps que je lui parle de la place d’Highway dans ma vie. Je me suis levée. C’était l’heure d’aller jouer les touristes. Je les embrassais. On s’est pris dans les bras. Puis nous sommes partis. Avant d’être trop loin je leur ai lancé “A bientôt les Grognards !”, en riant.


Quand Gaston m’a proposé de laisser la voiture pour les transports en commun, j’ai dit oui. Dans le tram, je me suis serrée contre lui. Il a mis son bras sur mon épaule. J’étais bien, heureuse. J’aurais pu ronronner comme un chat satisfait.
Notre périple dans la ville commença en prenant la montée du Gourguillon, depuis la Cathédrale Saint-Jean jusqu’aux théâtres romains. C’est un endroit tranquille, les bruits de la ville y sont assourdis. Il y a peu de monde, surtout en ce jeudi après-midi. Malgré la pente raide, c’est un endroit propice pour se raconter. Nous l’avons fait, comme en prolongement de nos mails durant son séjour au Danemark. C’est venu ainsi, naturellement.

Naturellement. C’est ce qui nous caractérise le mieux. Les choses viennent comme elles viennent. Les conversations, les rencontres, les confidences aussi. Et puis le reste. Les gestes de tendresse, la complicité. Ce sentiment étrange de se comprendre à demi-mots alors que nous ne nous connaissons que peu.
Nous marchions côte à côte, toujours se touchant, comme pour garder le contact. Il se racontait et moi j’écoutais sa voix. Les intonations, les respirations, les pauses. Toutes ces petites choses qui donnent corps au récit. Ce qu’aucun mail ne peut rendre compte. Nous alternions nos récits. Je parlais de moi sans aucun filtre, sans retenue. Je crois qu’il faisait de même. Il ne s’agissait plus de jeu de séduction. C’était plus profond. Beaucoup plus profond. Il ne s’agissait pas de tout raconter à l’autre. C’était un partage. Le partage de soi. Ce qui est notre essence. Je n’avais jamais vécu une telle chose. C’était magique.

Tandis que nous traversions les ruines gallo-romaines, nous avons joué les touristes, en riant. Je sais qu’il a pris une photo de moi, assise sur les gradins, regardant le panorama offert à mes yeux. Puis, nous avons rejoint la Basilique Notre-Dame de Fourvière, admirant la vue sur Lyon, et jusqu’aux massifs du Vercors et de la Chartreuse, ombres bleutées en arrière-plan.
Après êtres redescendus avec la Ficelle, nos pas nous ont conduits jusqu’à Saint Paul par les petites rues typiques et ses nombreux bouchons. Puis jusqu’à la Fresque des Lyonnais. De là nous avons grimpé jusqu’au sommet de la Croix-Rousse pour mieux redescendre. Entre escaliers, rues en pentes et traboules. Traboules où nous nous arrêtions pour nous embrasser, avides. Nous n’étions plus des touristes. Nous appartenions à cette urbanité. Notre périple était devenu une déambulation.

En retournant vers Bellecour, longeant la Saône dans les petites rues parallèles, nous devisions tranquillement, sans même nous attarder sur ce qui nous entourait. Jusqu’à ce que nous longions un hôtel luxueux. Nous avons échangé un regard, avant d’allonger le pas. Nous n’avions pas besoin de tentations supplémentaires. Une soixantaine de mètres plus loin, sur notre gauche, à nouveau un lieu de tentation. C’est un peu plus loin, dans cette même rue des Lanternes, devant le Love Shop que nous avons fini par éclater de rire. Stoïques, nous avons continuer notre chemin jusqu’au premier bar que nous avons croiser.

Plus tard, Gaston m’invita dans un petit bouchon qu’il connaissait. Il m’en devait un me dit-il.
Nous dégustions une bonne cuisine traditionnelle lyonnaise, arrosé d’un vin se mariant parfaitement. En regardant autour de moi, j’ai remarqué une femme d’un certain âge, plus probablement d’un âge certain, qui nous regardait, d’un œil réprobateur. Sans cesse, mon regard allait de Gaston à cette femme, derrière lui, à sa gauche. Plus je lui trouvais un air pincé. Que voyait-elle cette femme ? Notre couple semblait lui déplaire. En quoi ? Regardant à nouveau mon compagnon, cette pensée, dérangeante, me traversa l’esprit. Notre différence d’âge… Etait-ce cela qui la heurtait ? Et bien, grand bien lui fasse. Croisant son regard, je lui adressais mon plus beau sourire.
— A qui souris-tu ainsi ?
— A une vieille, derrière. Ne te retourne pas.
— Tu m’expliques ?
— Rien à expliquer. Elle me regardait, je lui ai souris. Fin de l’histoire.

Oui fin de l’histoire. Peu m’importe son âge. Ou plutôt notre différence d’âge. Et puis les autres je m’en moque. Je vis ce que je vis parce que j’en ai envie. Je le désire cet homme à un point que je n’imaginais même pas. Quelques 32 jours que nous avons échangé pour la première fois. Après des doutes, des peurs, des interrogations, à l’instant précis où j’ai souris à cette femme, j’ai eu le sentiment que tout cela n’avait aucune importance.
Pour la énième fois il se passa la main dans les cheveux. Pour la énième fois je me surpris à envier cette mèche rebelle.

Je savais que c’était ensemble que nous irions au BBQ auquel il m’avait invité. Je lui souris. Il me dit alors trois petits mots simples, d’une voix pleine de promesse…
— On y va ?

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