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Calliste Saunier

Chambre 3

J'ai rencontré une gorgone (et j'ai survécu)

Mathilde arrive ce soir pour le week-end !!! J’ai hâte !!!

Ce petit bout de fille s’est emparé de mon cœur de la plus vile des manières. J’aime sa bonne humeur constante, son énergie inépuisable, son affection débordante.

Elle aussi m’aime bien, j’ai l’impression, et c’est chouette. Plus que la peinture en montagne, la raison de se tenir debout, quoi qu’il arrive, d’Artus, c’est sa fille, et les choses auraient été compliquées si l’harmonie entre elle et moi n’avait pas été au rendez-vous.

Bon, certes, elle m’épuise de ses demandes de petit frère ou petite sœur. Requête pour le moins difficile à adresser. Déjà on est ensemble depuis quelques semaines. Et puis je suis un peu vieille pour ça,

C’est compliqué d’expliquer à une enfant de 8 ans ce que ça m’a coûté, ce renoncement à la maternité. Pas le temps, carrière à faire. Puis pas l’homme qui convient. Puis pas d’homme du tout. Puis l’âge qui vient et le ventre qui restera vide d’enfant.

J’ai toujours dit qu’il y avait plus d’une façon d’avoir des enfants, Mathilde en est la preuve. Mais ses questions me font palpiter au cœur des douleurs encore mal cicatrisées.

Mais bon, enceinte à 43 ans, ça devient du sport de haut niveau et je ne suis même pas sûre qu’on ait à un moment ce regret, Artus ou moi.

A propos de maternité j’ai eu la joie de rencontrer sa “gorgonne” (dirait Artus) de mère.

Elle a dû entendre dire que je venais à la ferme et a trouvé moyen d’y passer pour apporter quelque chose à Mathilde. La tête des parents d’Artus… visiblement il n’y a pas que lui qu’elle a déçu et blessé.

Cette Sylvie m’a fait un grand numéro de matriarche féroce. Dans lequel j’aurais pu marcher si je n’avais pas discuté avec Artus quelques heures auparavant de ses manquements réguliers à la vigilance maternelle. Gamine laissée seule des soirées entières pour cause d’obligations professionnelles. Repas en mode céréales et au lit quand elle a (souvent) autre chose à faire que la cuisine. Interruption de leurs vacances pour lui envoyer dans le Jura parce que finalement, juillet, ça ne l’arrange pas, mais août n’est pas terrible non plus… Entre autres… Bref. Elle ne le sait pas encore mais son-ex-mon-actuel est en train de réfléchir à la meilleure façon d’avoir la garde de Mathilde.

Le numéro était donc remarquablement peu impressionnant, autrement que par un côté pénible et pathétique. Au bout de 20 minutes, j’en ai eu marre. J’ai fouillé dans mon sac, me suis levée et lui ai tendu mon carnet d’adresses professionnel. Et oui, on peut faire dans le digital et garder des copies “en dur” des cartes de visite.

Je lui ai tendu. Devant son regard vide j’ai ajouté : “Artus m’a dit que vous faisiez une magnifique carrière dans la finance. J’ai moi-même travaillé dans ce milieu longtemps, je viens de le quitter. Vous avez ici les cartes de visite de tous ceux qui comptent dans les multinationales du secteur. Faites en bon usage”.

Je l’ai laissée mais elle a à peine dû s’en rendre compte. Elle feuilletait mon carnet avec l’air de Gollum qui aurait trouvé son précieux, à deux doigts de la bave aux lèvres.

J’ai enfilé mes bottes, pris la main de Mathilde et le bras de son grand-père, et on est allés à la traite en se racontant des bêtises. Légers et heureux.

Tiens, quand Artus rentrera tout à l’heure, chevalet sous le bras, il faudra que je lui demande où il en est de sa réflexion, avant qu’elle arrive. Je me demande si elle aimerait visiter Marseille, la gamine. On en parlera ce week-end.

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