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Arsène P. Brisette

Chambre 5

Sous l'Aragne, de la médiocrité

Congé de fin de semaine, 29 et 30 août.

Je n’ai pas pu y échapper. Retour à Saint-Cyr. Saut dans sa Mini Cooper S jaune poussin, direction Lyon sous le soleil couchant dans des percées nuageuses.

Célestine m’a entraîné sur Lyon pour un vernissage de merde. Littéralement.

Parmi les tourmentés en mal de reconnaissance qui espéraient soutirer quelques subsides à des bourgeois lyonnais présents en masse, il y avait un de ces performeurs qui ne se donnent pas la peine de prétendre à une quelconque qualité mais affichent clairement la nature de leur travail par la matière sélectionnée. Et je devrais être reconnaissant, le brave expérimentateur n’avait pas poussé le happening jusqu’à assurer lui-même la production sur place entre deux petits fours et une coupe de mousseux.

Et pas seul le type : Célestine très concentrée (j’en ai rien à foutre, je serre les dents car je sais que des clients potentiels, à moi, m’observent) écoutant une créateuse féministe lui expliquant qu’iel utilisait son sang menstruel comme pigment rouge pour changer la vision du patriarcat sur la visibilisation de la corporalité femelle…

Célestine, avec ses cheveux apprêtés chez Michelo et son nez d’aigle, sa robe en lamé et le regard perçant elle scrutait l’horizon des présents à la recherche d’une proie.
Une belle femme, certes, mais une Nibelung, au grundthema inquiétant. Elle a plongé dans les eaux du Rhin et ramassé cet or, maudit, au coût incommensurable. Quand elle sort de sa grotte du Mont-d’Or, elle enfile l’anneau d’or forgé par les gnomes de Zurich par le pouvoir duquel elle prend l’apparence qui la sert le mieux.

J’ai aussi fermé ma gueule quand on est resté plantés devant un Péruvien de l’Altiplano (traduction : il vole à cinquante mille pieds et a perdu tout contact avec le plancher des vaches) qui nous expliquait sont art. Pourquoi s’embarrasser de l’œuvre quand on peut lire le mode d’emploi ? Bref… Célestine, qui avait harponné Wallace et Ludivine (le vrai nom de Gromit m’était revenu), toujours pour leur fourguer son bloc de cinq cent kilo euros, semblait compatir à l’histoire du Colombien.
« Si, claro que si ! Mon pueblo se être éparse dans la violencia del modernité et créo que la responsabilité d’oune artiste c’est grouper la essencia de la vida. C’est por que, je lé réçou la miçion de mes ancêtres que io resserre le liant, le liant entre les gentes, le liant entre la Pacha Mama et le cielo, entre la péniche et la chatte, le liant entre los objectos et les personnas, le liant qué vivant et qué mort, … »

Le Chilien faisait des bottes, des fagots, des gerbes… avec toutes sortes de matériaux (des branches, du blé, du bois flotté mais aussi des clubs de golf, des saucissons, des badines, des balais…) retenus par un lien (du bolduc, du barbelé, des préservatifs, du raphia, de la corde à linge ou des bas nylons…) Et l’homme des Andes avait dû emprunter un peu de sang menstruel à sa collègue de galerie pour asperger le tout : « L’artiste fou à lier ». Légèrement en retrait, je réussis à masquer un éclat de rire (regard au 1/250ème de Célestine) à ma blague interne derrière une toux explicable par les gressins au sésame, que je mastiquais en hochant la tête d’un air convaincu.

Tant que je ne lui mettais pas la honte en public, elle me laisserait faire. Si son affaire marchait elle aussi, comme l’artiste de m…, serait fière de sa grosse commission.

« Tu vois me dira-t-elle, je me suis arrachée pour rentrer cette affaire ! » Et tu veux un susucre ma cocotte ? Tu vas encore t’arracher pour la prochaine et pour la suivante…

Tu te souviens d’une époque où on s’arrachait à tout pour voir l’autre ? Des montagnes qu’on pouvait déplacer pour nos projets ? Des deux êtres qui sont venus par nous et que nous avons fait grandir ?

Est-ce moi qui ai été défaillant ? Trop consensuel, trop routinier ? Je me demande parfois si, pendant que je creusais le Monde à la recherche du Vrai, je n’ai pas aidé Célestine à caparaçonner sa surface ? Est-ce une sorte de karma des vases communicants qui agit dans un couple ?

Mais l’hypothèse que je me sois marié à une bourgeoise névrosée, à la généalogie nécrosée, reste une piste sérieuse… Célestine du Guiers, petite fille et arrière-petite fille de Soyeux. Le déclin des manufactures et des activités industrieuses a été une tragédie pour plusieurs générations : un lent déclassement qui a noué les ventres de ses ancêtres et lui déchire peut-être encore les tripes. Déclassement le mot est fort, mais passer d’industriels en vue, actionnaires et administrateurs du Crédit Lyonnais, bienfaiteurs de L’Église et ordonnateurs de toutes les fêtes… à des petits entrepreneurs, cadres ou rentiers, vivant dans un confort périphérique…

Les grands bâtiments de briques des Établissements du Guiers qui avaient survécu étaient maintenant transformés en lieux associatifs, couverts de tags, pour les jeunes (éducateurs pour répondre aux questions, centres de formation pour les DJs, musique techno et drogue pour s’évader, une culture en marge pour se démarquer) ou en galerie d’art branchée…

A la fin des fins, Célestine toucherait quinze mille, le scatophile quinze mille, Men’s true woman quinze mille aussi et Pablo quinze mille aussi… Et moi aussi finalement, pas meilleur qu’eux, je toucherai quinze mille sur ma mission. Et après ? Elle rachèterait des terrains, replanterait des usines ?

De retour à Saint-Cyr, sur son bureau dans notre chambre, mon épouse a fait le compte de la soirée. Penchée sur l’ordinateur, pas démaquillée et en fond de robe, une pile de cartes de visite et son I-phone à portée, elle a compilé ses « touches » de la soirée, totalisant les potentiels d’investissement. Déduction faite de l’œuvre de l’Inca qui trônait désormais dans notre entrée (un fagot de parapluies colorés, lié par des quipu).

Dans le lit, je m’absorbais à lire une description historique des traites intra-africaines… Échec flagrant, car plutôt que d’absorber les complexités des royaumes et ethnies, je tirais un parallèle entre ma vie et cet épisode.

On est jamais si bien trahi que par les siens.

Lundi 31 août

Loin de Lyon je revis.
Rentré Dimanche soir tardivement. J’ai garé le X-trail et fait à pied les derniers mètres menant du parking à l’auberge en gonflant mes poumons. Seul dans le noir, avec les fenêtres éclairées dans mon dos, je contemplais le lac, m’emplissais du clapotis de l’onde et des appels nocturnes des hôtes de ces lieux… Les lieux que nous hantons. Saint-Cyr, le foyer, un beau rôle de composition. Les Rousses, le travail, je suis moi-même car je ne me regarde pas. Pollox, parenthèse enchantée dont je redescendrai transfiguré?



Je me suis essayé à la Smörgåsbord du Jura et je ne regrette pas. L’expérience de cette table de convivialité est plutôt agréable et il faut reconnaitre à la patronne ce talent propre au cafetier de créer du lien entre de parfaits inconnus…



Table très féminine de mon côté… Et encore il y a eu un couvert retiré. A ma droite, une femme brune dans mes âges, Julia, qu’on pourrait qualifier de druidesse cartomancienne 2.0, incollable sur les pierres et leurs propriétés spirituelles, les plantes et les landes… Une conversation cordiale, mais j’ai senti que derrière, il y avait toute une famille avec ses usages et ses traditions… Moi j’ai un peu développé sur les sociétés secrètes et discrètes, les savoirs perdus.



En face d’elle, une jeune fille châtain petit modèle, aussi athlétique que féminine (les épaules). A faire sortir de sa réserve. Une histoire incroyable apparemment. Passage à l’Armée, commando, arts martiaux et cultures du Japon… Elle se prénomme Hugo car tous les prénoms de ses parents et cinq sœurs commencent par H (Hortense, Hildegard…). Cela nous a fait un point commun puisque ma grande fille s’appelle Hermance. Mais je n’aimerai pas qu’elle m’en veuille un soir au coin d’un bois. D’ailleurs, je n’ai pas vu la petite marseillaise pétillante, qui m’a semblé un peu soupe-au-lait quand je lui ai parlé, et qui m’a pris en grippe sans raison.

En face de moi, une personnalité qui m’a rappelé (un peu) Célestine. Caroline, une belle femme dans la plénitude de la maturité, aimable et courtoise, mais je n’ai pas bien saisi ce qu’elle faisait ici. Une chose est sure, elle a une qualité d’observation et prête attention à de petits détails. Avec le recul, je crois qu’elle doit être dans la politique ou la justice ! Elle a l’art de faire du pole dance autour des questions qui lui sont adressées, surtout avec un public attentif…

A ma gauche un père de famille, Monsieur Moireau, il me semble, avec une fille nommé Margot. Là encore je n’ai pas tout suivi parmi mes multiples conversations. Pour autant, je dirai que c’est un séjour de remise en forme ou de thérapie familiale. Brave Margot !

Quand Margot dégrafait son carton, pour montrer ses dessins à la table, tous les gens, tous les gens de l’Auberge étaient là ! là! là! là! là! Et Margot qu’était simple et très sage présumait qu’c’était pour voir ses dessins…

Bon, gêné par l’enthousiasme naïf de sa fille monsieur Moireau l’incitait à plus de discrétion. Je lui ai posé la main sur le bras et lui ai dit à voix basse : « Laissez, Monsieur Moireau, je préfère voir une jeune fille s’investir dans les Beaux-Arts et en être fière plutôt que de la voir tapoter sur son mobile à longueur de journée comme l’ado en bout de table… Vous avez de la chance. Ils sont très bien ses dessins, il y a une patte, un style. En tout cas, je vous jure sur ce que j’ai de plus sacré, que c’est mieux que la galerie d’art que j’ai visitée ce Samedi. »

Et en parlant de l’Adominable du bout de table, et de ses pauvres parents, il est sans doute con comme un balais mais pas que…Là encore bonne surprise.

Archétype de la génération Y Z ou beta je ne sais plus, il enfilait les lieux communs et les références aux jeux vidéo. A un moment il a parlé d’Assassin’s Creed et j’en ai profité pour évoquer le rôle d’Hassan ibn al-Sabbah et des Nizarites dans le Proche Orient compliqué…

En enchainant sur une image un peu similaire, plus proche de nous, de Louis XI, « fourbe insigne connu d’ici jusqu’aux enfers, abominable tyran d’un peuple admirable » pour certains et « Universelle Aragne » pour d’autres qui le voient comme la cheville ouvrière patiente de la construction de la France. Et bien sûr son prédécesseur Charles VII, sponsor et bénéficiaire de notre bonne Pucelle d’Orléans…

Et voilà qu’un éclair de reconnaissance traverse le regard du boutonneux muant « Ah ouais, Charles VII, il a levé le siège de Tartas en faisant un voyage ! J’ai fait un exposé de folie dessus. Et c’est un 31 août, comme aujourd’hui que les Anglais ils sont arrivés… Et Charles le best de la défense il a pris son ost et est descendu dans le Sud… ». Tout n’est pas perdu.

Et puisque nous sommes le 31 août, souvenons-nous qu’à cette date, Surcouf, sur un petit esquif, nommé « la Confiance » (ça ne s’invente pas), captura le HMS Kent.

1. Au trente et un du mois d’août (bis) Nous vîmes sous l vent à nous (bis) Une frégate d’Angleterre Qui fendait la mer et les flots C’était pour aller à Bordeaux.

Buvons un coup,buvons en deux, A la santé des amoureux A la santé du Roy de France Et merde ! pour le roi d’Angleterre Qui nous a déclaré la guerre.

2. Le capitaine au même instant (bis) Fit appeler son lieutenant (bis) Lieutenant te sens-tu capable Dis-moi, te sens-tu assez fort Pour l’aller crocher à son bord ?

Refrain.

3. Le lieutenant fier et hardi (bis) Lui répondit : Capitaine, oui ! (bis) Faites monter tout l’équipage Hardis gabiers, gais matelots Faites monter tout l monde en haut.

Refrain.

4. Vire lof pour lof en arrivant (bis) Nous l’abordâmes par son avant (bis) A coup de hache, à coup de sabre De pique, de couteau, de mousqueton Nous lavons mis à la raison.

Refrain.

5. Que va-t-on dire de lui tantôt (bis) A Brest à Londres et à Bordeaux (bis) De s’être ainsi laissé surprendre Par un corsaire de quinze canons Lui qu’en avait trente et si bons ?

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