J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours et je n’ai pas l’intention d’arrêter. A force, je finirai par me retrouver.
Au moment où j’ai posé ces quelques mots dans mon carnet, je savais que cette formule m’avait déjà cueilli il y a longtemps…
Eluard bien sûr ! [1]
À chanter les plages humaines
Pour toi la vivante que j’aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n’ont envie que de s’aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai par me retrouver
Nous prendrons possession du monde.
Alors de vivante que j’aime il n’y a pas, ou il n’y a plus. Je crois. Je le crains.
La lecture de mes mails, il y a quelques jours m’a évidemment mis la tête et le cœur en vrac. Mais comme une terre inondée, lorsque les larmes se tarissent et se retirent, des évènements, des détails, des sentiments remontent et reprennent du sens…
Marie…
Marie a pris la peine de m’écrire pour me dire que Maman n’était plus. Elle me suppliait de la rappeler. De la contacter. Elle ne voulait pas m’abandonner. Elle était là, tout simplement. Comme la femme avec qui j’ai partagé tant de belles choses. Mais qui est là aussi pour partager les douleurs. Pour m’offrir la douceur de son épaule et le soyeux de ses cheveux.
Marie…
Je me souviens bien sûr de la finesse de sa taille et de la rondeur de ses seins.
Mais là, maintenant, c’est son sourire qui imprègne mon esprit. En parlant d’elle à Fabien, pour tenter de lui expliquer ce qui m’avait fait perdre le tête, oublier la largeur de ses épaules à lui et la force de ses bras autour de moi, je lui avais dit que j’avais été éclaboussé par le sourire de Marie…
Le sourire de Marie. Comment y résister ?
Je n’avais pas réussi. Je n’avais d’ailleurs pas vraiment cherché à combattre. J’avais plongé dans ce sourire. Et…
Et tout naturellement Marie était venue chez moi.
Marie s’est installée chez moi. Marie a pris possession de moi… Insensiblement chez moi
est devenu chez nous
… Avec son sourire et son rire éclatants qui illuminaient cet appartement si grand, si vide avant elle…
Je suis parti le jour où j’ai cru que sa présence était semblable au flot des rêves imposés dont parle Eluard. Je n’ai pas su leur barrer la route alors j’ai fui devant ce qui m’apparaissait comme une routine.
J’ai retrouvé en même temps que ma solitude et que ma liberté (mes deux plus solides et fidèles compagnes) les affres, les tourments et l’excitation de la séduction… mais une séduction à vil prix.
Témoin de ma déchéance, (la déchéance physique qu’on cherche à oublier… mais surtout qu’on cherche à faire oublier…) j’ai rencontré des jeunes gens pas farouches, sensibles au charme d’un billet vert…
Le vert…La couleur de l’espérance dans certaines croyances.
La couleur de la jeunesse, l’inexpérience, la crédulité pour d’autres…
Ou du hasard, de la jalousie ou de l’envie…
Glisser un billet vert dans la poche du pantalon d’un homme jeune très prompt à le laisser tomber au pied de mon lit, c’était fusionner toutes ces symboliques. J’essayais de me raccrocher surtout au vert couleur d’espoir, bien que l’issue soit toujours évidente et répétée, quel que soit le prénom de mon compagnon d’un soir.
Un cœur ne s’achète pas, même si… S’ils savaient, tous ces amants d’un soir, les amours de passe-partout chantées par Sheller [2], ces amours qui laissent l’impression d’une drôle de solitude, après coup, ce que j’ai pu rêver en les regardant dormir avant qu’ils ne s’évaporent au petit matin pour aller rejoindre d’autres bras…
Marie…
Malgré le temps, malgré mon départ, malgré mon absence, malgré mon silence, elle a cherché à me joindre.
Se pourrait-il qu’elle m’aime toujours ?
Se pourrait-il que je l’aime toujours ?
Notre amour n’est pas mort, il dort outrageusement
Quelque part dans l’azur, le vide extravagant
Notre amour se mesure à l’infiniment grand [3]
Je suis descendu manger, sans réussir à me joindre aux autres à la table commune. J’ai retrouvé MA place.
J’ai salué poliment les convives. Je crois que ma tête défaite (c’est dur de cacher des yeux rougis par les larmes et non, je n’allais pas porter des lunettes de soleil…), mon allure gris muraille, mais aussi ma réputation n’incitaient pas à la convivialité…
Je me suis cependant efforcé de dessiner un semblant de sourire poli en entrant dans la salle à manger…
J’ai mangé. Trop.
Burp !
Bien sûr, je connais la rengaine : on comble par la nourriture le vide que l’on ressent. Bla-bla-bla. Gna-gna-gna.
Je crois que ma réalité a plutôt été de vouloir ensevelir sous la nourriture un trop-plein de peine et de douleur.
La petite salade coleslaw (carotte et chou blanc râpés, raisins secs, sauce crémeuse à la moutarde), le Poulet de Bresse, poêlée de poivron, maïs et aubergine, sauce à l’ail et la tarte aux mirabelles ont eu raison de mes idées noires.
Re-Burp !
Je suis sorti de table non pas avec le sourire béat du gros qui flatte sa panse mais avec l’envie impérieuse de m’affaler sur mon lit et de me laisser gagner par le sommeil…
Re-Re-Burp !
J’avais mis mon réveil à sonner à 6h45. Pas pour rejoindre Hugo ou l’occupante de la chambre 18, Mlle Delatour si j’ai bien entendu… Elles sont trop matinales et le jogging matinal ce n’est pas pour moi.
Le jogging tout court d’ailleurs, ce n’est pas pour moi.
Sauf si c’est un jogging en molleton suffisamment large pour m’envelopper de douceur.
Les sportifs ont cela d’intéressant, c’est qu’ils incitent leurs équipementiers à concevoir des vêtements pratiques et confortables.
Vêtements que s’approprient ensuite les non-sportifs pour leur confort assumé…
Je me suis donc levé pour la randonnée à la cascade du Moulin de Vulvoz… Premier exercice de “sociabilité”, de “mise en danger” depuis que…
Pas sûr de pouvoir suivre le rythme et donc de profiter des explications que donnera le guide… Mais je vais essayer… 6 heures de marche disent-ils. 6 heures de souffrance donc. Mais peut-être aussi 6 heures de mise à l’épreuve de ma volonté.
Randonnée en forêt. Du vert partout.
Qui sait… Peut-être qu’une chouette me fera signe ?
Aujourd’hui sera un nouveau jour. Aujourd’hui doit être un nouveau jour !
Eluard l’a écrit : Je finirai par me retrouver / Nous prendrons possession du monde.
Reste à savoir qui est ce NOUS…
1 Commentaire de Avril -
On ne sort pas aussi facilement de sa prison quand on a été son propre geôlier.
C’est peut-être ce qui me chagrine le plus chez Côme.
2 Commentaire de SacripAnne -
Bonne randonnée, Côme. Le vert c’est la couleur de l’espoir après tout.
3 Commentaire de Pétronille -
Parlez donc à un comédien de la chance et de la couleur verte, celle du diable et des malheurs… Est-ce vraiment un hasard que Côme ait choisi cette couleur ?
4 Commentaire de Malia (auteur) -
Gageons que Côme trouve une diversion à sa peine. Et qu’il mesure sa chance de pouvoir goûter les plaisirs de la vie. Pour la sociabilité, c est un peu grillé à l’auberge, pour au fond pas grand-chose.
Respiiiiire !
5 Commentaire de Avril -
Malia, tu veux dire quoi par là ?
6 Commentaire de Jeanne Lalochère -
P’têtre une piste : moins intellectualiser et plus être dans le moment présent ? J’ai l’impression que Côme se noie dans l’exégèse et que ça ne peut rien arranger du tout, au contraire.
7 Commentaire de Malia ( l'auteur de ) -
Avril : quand je lis les textes de Côme, je ne vois là que l’histoire d’un ours, qui s’est enfermé tout seul. Quelqu’un malheureux, à vif et qui en plus, essuie un deuil soudain.
L’auberge a été témoin de sa colère, de son isolement et comme bien souvent dans la vie, impuissante à changer le cours des choses.
La faute à personne, évidemment.
J’aime en cela ce parcours et le récit de Côme, désespéré, désespérément gourmand, en quête de nourrissage maternel. C’est drôle et émouvant à la fois.
8 Commentaire de Come-de-la-caterie -
Bien vu !
Et c’est pour ça qu’il cherche dans les mots des autres les clés de sa forteresse intérieure…
9 Commentaire de Avril -
Et si plutôt que de chercher des clés, il la dynamitait un bon coup ? Jdcjdr
10 Commentaire de Come-de-la-caterie -
@Avril : cette forteresse est classée au patrimoine ;-)