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Côme de la Caterie

Chambre 9

Smile

© Sempé, août 2020
© Sempé

Que faire maintenant ?
J’ai bientôt 66 ans et donc, statistiquement parlant, j’ai encore 13,8 années d’espérance de vie. 165 mois et des poussières. 5037 jours… Enfin il y’a sans doute une décote de quelques années, englouties par mes kilos en trop…
Mais même si j’ai encore 10 ans à vivre…
10 ans à pleurer ? 10 ans à faire la gueule ? 10 ans à opposer un visage fermé et morne aux personnes qui vont avoir l’honneur me croiser ? C’est pas bon ni pour les pattes d’oie au coin de yeux, ni pour les sillons nasogéniens et encore moins pour le double menton…

J’ai cherché et trouvé dans mon iPod ‘‘LA” chanson incontournable, que Maman aurait été tellement heureuse de m’entendre chantonner pour elle…

Smile though your heart is aching
Smile even though it’s breaking
When there are clouds in the sky you’ll get by
If you smile through your fear and sorrow
Smile and maybe tomorrow
You’ll see the sun come shining through
For you …

Certains trouvent fascinant… ou choquant… ou décalé… ce besoin que j’ai de me réfugier dans la musique… 
C’est pourtant simple à comprendre. La musique m’isole des autres. Mais elle m’isole aussi de moi-même. Écouter les mots des autres me dispense d’écouter ma petite voix intérieure…
“La musique. C’est un cadeau de la vie. Ça existe pour consoler. Pour récompenser. Ça aide à vivre.” [1]


Presque machinalement, j’ai attrapé le livre que Javot m’a offert le jour où Maman… Audiard par Audiard. Même si la façon de faire et les mots employés pour accompagner le cadeau auraient pu prêter à discussion, le livre est là.
Puisque vous comptez plus sur les mots de autres que sur votre propre esprit, lisez le Maître, celui dont les mots font mouche à tous les coups ! m’a-t-il balancé… Et il a ajouté Sans rancune

Ça venait juste après cet échange avorté avec June-Elisa qui m’avait simplement dit, dans l’ascenseur On efface tout et on recommence ? et qui avait été happée par l’ouverture de la porte avant que j’ai pu lui répondre.
Oui bien sûr ! On efface tout et on recommence… Bonne idée !

Dans le livre d’Audiard je suis tombé sur cette citation : “Une mauvaise action trouve toujours sa récompense.”
Ce bouquin est peut-être la récompense que me vaut mon sale mon mauvais mon caractère.
Au delà du plaisir de lire des formules ciselées, ce geste m’oblige à réfléchir.
Maman aimait bien mon esprit vif et parfois vachard parce qu’elle n’en voyait que le côté superficiel.
Mais c’est épuisant de vouloir avoir toujours le dernier mot. C’est stimulant, c’est parfois jubilatoire mais c’est surtout épuisant.
Je repense (toute proportion gardée) à Cyrano… [2]

Élégant comme Céladon,
Agile comme Scaramouche,
Je vous préviens, cher Mirmidon,
Qu’à la fin de l’envoi, je touche!

Combien de fois ai-je virtuellement touché ?
J’ai parfois blessé l’amour propre de celui que j’avais dans ma ligne de mire, il m’est arrivé de le piétiner, de le laisser dans le caniveau… Je me suis souvent fait plaisir, mais… Mais pour quel bénéfice si ce n’est me construire la réputation d’un cuistre, d’un beau-parleur, d’un pédant… d’un gros con qui manie bien les mots…
Et alors ?
Et après ?
“Soyez en garde contre le goût que vous avez pour l’esprit. Trop d’esprit humilie ceux qui en ont peu.” [3]
Maman riait parfois en m’entendant répondre aux gens, mais elle n’oubliait jamais de me rappeler - à mi-voix - certaines limites : Il faut savoir te défendre mais n’oublie pas le mal que tu ressentais quand on se moquait de toi !
C’est peut-être ça le vrai héritage qu’elle va me laisser : m’obliger à réfléchir et à imaginer que je peux être aimable.
Le goût des bons mots m’a forgé une carapace… Une carapace qui me protège des autres, de leur méchanceté, de leurs moqueries… mais aussi de leur soutien, de leur aide, de leur amitié, de leur amour peut-être…
Lorsque j’ai rencontré Fabien, puis Marie, je crois bien que j’avais un peu bu… et que mes barrières étaient tombées, ou au moins fragilisées… Le mode Je-Contrôle-Tout était temporairement passé sur OFF à mesure que le taux d’alcoolémie grimpait dans mes veines et mon cerveau…
On en revient encore une fois à cette question qui m’a crucifié lorsque nous discutions dans la clairière, Hugo et moi…
Pourquoi vous ne voulez pas qu’on vous aime ?
Allez hop ! Prenez une copie, vous avez 4 heures !


Dans mes écouteurs, Nat King Cole chante encore…

Light up your face with gladness
Hide every trace of sadness
Although a tear maybe ever so near
That’s the time you must keep on trying
Smile - what’s the use of crying
You’ll find that life is still worth while
If you just smile
Oh that’s the time you must keep on trying

Pas faux… Souris ! A quoi ça sert de pleurer / Tu comprendras que la vie vaut encore la peine / Si tu te contente de sourire / Allez, c’est le moment de t’y mettre…


Tout à l’heure, je vais descendre manger.
Dire bonjour aux personnes présentes.
Leur sourire en les regardant dans les yeux.
Oui c’est ça, alors que j’ai tellement envie de pleurer, je vais leur sourire…

Notes

[1] Michel Tremblay - Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges

[2] Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte I scène IV.

[3] Madame de Maintenon / Conseils à la duchesse de Bourgogne

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