Natou devait déjà m’attendre dans le hall de l’auberge. Aussi, voir l’ascenseur marquer l’arrêt au premier m’agaça prodigieusement. Les portes se sont ouvertes sur Môssieur de la Caterie. Il ne manquait plus que lui ! Il eut un mouvement de recul, puis entra et appuya sur le bouton de fermeture. Pourvu que la machinerie tienne jusqu’au rez-de-chaussée. Qui aurait envie d’être coincé là avec un Ostrogoth de cette envergure ? C’est à cet instant que j’ai repensé au rêve de revanche que j’avais fait à son sujet dimanche. Élisa telle une barbare émasculant l’incarnation de l’infamie. La force de cette vision m’avait subjuguée au point de croire pendant un moment que la scène avait eu lieu. Ce plaisir par substitution de la réalité avait enchanté mon humeur pour le reste de la journée.
Je ne pus m’empêcher de l’observer du coin de l’œil. À peine son regard osa s’aventurer sur son reflet dans le miroir qu’il poussa un soupir de tristesse. Je compris alors que le gars nageait dans une marmelade de complexes liés à son physique et qu’il masquait tout cela derrière une arrogance et l’ostentation de sa culture. Afficher un sentiment de supériorité pour mieux dissimuler celui d’infériorité. Les psychiatres n’ont pas fini de rouler en berline. Les tourments qu’il s’infligeait à lui-même ne devaient pas lui faciliter le quotidien. Il m’a fait pitié. Pas au point de l’embrasser pour lui redonner confiance, faut pas charrier non plus. Y a pas écrit Sainte Rita sur mon front. Et puis, il serait capable de m’en coller une. Alors, je lui ai tendu la main : « Le pied sur lequel nous sommes partis tous les deux n’est pas très… bref… On efface tout et on recommence ? ». Il a marqué une pause de réflexion. J’ai cru qu’il allait me mettre un vent ou m’infliger le sermon d’une de ses citations. Mais non.
Natou était en effet sur le pied de guerre quand les portes se sont ouvertes : « June, enfin ! Té, je suis là à piétiner en t’attendant. Et toi, tu sers tranquillement des paluches dans l’ascenseur. Vé, tu veux me faire monter la bouffaïs, ou bien ! Désolé, m’sieur Côme, je vous l’arrache. On nous attend à la ferme. Presto, presto !». Elle me prit par la main et m’entraîna au pas de course vers la sortie. Nous voilà à gambader comme deux sœurs. Laura et Mary Ingalls. La mission, que j’avais choisie d’accepter, était de juger le fils du fermier, son Prince, qui avait tapé dans l’œil de ma copine. Pouvait-elle lui faire confiance ? Le poids de cette responsabilité a doublé quand je me suis souvenue que Mary Ingalls était l’aînée qui avait été frappée de cécité vers la fin de la série. Natou n’avait-elle pas surestimé mes compétences en la matière ? Il me fallait faire maintenant de mon mieux pour évaluer le potentiel de ce Sébastien.
Heureusement que je ne comptais pas sur ma copine pour une visite de la ferme. Elle s’est dirigée comme un aimant vers son Apollon. La brièveté des présentations d’usage fut suivie d’une conversation entre les tourtereaux où je n’avais guère de place. Il n’y avait plus qu’eux, je n’existais plus. Quand l’un parlait, l’autre buvait ses paroles, et vice-versa. J’étais devenue le chandelier de la scène. Cette mignonitude me bouleversa et je me gardai de les interrompre.
Il n’y avait ni adjectif ni qualificatif pour décrire avec exactitude les charmes de ce garçon. Il m’inspirait confiance. La question était de savoir si je pouvais me fier à mon instinct. Natou pouvait respirer, le cœur de son prétendant battait la chamade au moins autant que le sien. Sur ce point, il n’y avait aucun doute.
« Mince, j’ai dû oublier mon pashmina dans la grange ! Attends-moi là, je cours le chercher », prétextai-je au retour alors que Natou me pressait pour que je rende mon verdict. Et je rebroussai chemin sans même la laisser réagir.
Sébastien était toujours à fourcher de la paille.
— Hello ! Je suis venue avec Natou, vous vous rappelez ?
— Heu… oui, évidemment.
— J’ai perdu mon pashmina, il est peut-être tombé ici ?
Je me dirigeai vers la botte de foin où j’avais dissimulé l’étole plus tôt quand ils bavardaient. Je ne pris pas la peine de chercher longtemps. Qu’il comprenne que cette mise en scène n’était qu’un prétexte m’importait peu. Je sortis l’objet de sa cachette et le brandis triomphalement avant de me rapprocher du garçon.
— J’aurais presque envie de vous donner les clés du paradis sans confession.
— Heu… Je ne comprends pas…
— Vous me plaisez. Je sens que je peux vous faire confiance pour ne pas lui briser le cœur.
— Ah là, aucun risque ! Jamais je ne lui ferai le moindre mal.
— Si vous saviez le nombre de fois que j’ai entendu cela.
— Tous les hommes ne sont pas… Je l’aime. Vraiment.
— Je vous crois… Une mise en garde ne fait pas de mal non plus. Si une larme coule de ses yeux et que j’apprends que vous en portez la responsabilité, vous me verrez débarquer dans votre ferme à nouveau. Et croyez-moi, vous ne voulez pas que je revienne en mode furie. Ce serait dommage que votre fourche se plante ailleurs que dans du foin, conclus-je sur le ton de la plaisanterie.
Il laissa exploser son rire dans la grange tout en fourrageant de sa main la blondeur de sa chevelure. En plus d’être un bogosse, il avait aussi le sens de l’humour. Ce garçon cochait décidément toutes les cases.
Je rejoignis Natou en courant et la rassurai en quelques mots sans lui faire part de cette discussion. Elle voulait en savoir plus encore, mais je devais abréger. Il me tardait de retrouver mon Prince. Mary Ingalls prit sa sœur Laura par la main et l’emporta dans son galop vers l’auberge.
« Il a ma bénédiction, Natou. Fonce ! ».
1 Commentaire de Come-de-la-caterie -
Eh bien là je dis “Madame” !
Comme
artisscénariste, tu tiens la route !(Sinon pour l’analyse, tu me diras combien je te dois !)
2 Commentaire de Kozlika -
J’ai confiance en ton jugement, June, et donc je suis bien contente pour Natou \o/
3 Commentaire de Natou auteur -
Voilà qui va grandement soulager Natou ;-)
4 Commentaire de Sacrip'Anne -
Hahaha. Après “Le Parrain”, “La Marraine”. :D
5 Commentaire de Malia (auteur) -
Elle est pas sympa, June, dans ce texte. Pauvre Côme de la Gâterie…
6 Commentaire de Avril -
Cômauteur : Je te fais une révérence et une bise en acceptation de ton compliment.
Kozlika, Natou : Rassurez-moi, vous ne pensiez pas que June allait mettre un veto sur ce couple si mignon ?
Sacrip’Anne : Lolilol ;’D
Malia : Figure-toi que je trouve June plutôt cool avec Côme sur ce coup. Surtout par rapport au précédent. D’abord elle lui donne une issue de secours avec l’aveu comme quoi sa fureur n’était qu’un rêve, elle justifie ensuite ses défauts et au final elle lui propose une main tendue en signe de pardon de ses pensées belliqueuses face aux horreurs qu’il a professées contre elle. Des gens pas sympas comme elle, j’aimerais en croiser tous les jours.
Dans la vraie vie, soyons honnêtes deux secondes, on calcinerait les individus comme Côme. Les « pas-bogosses-et-gentils » ont hélas déjà la vie dure IRL, alors les « pas-bogosses-et-méchants » n’en parlons même pas…
Je crois que beaucoup de « oh le pauvre Côme » viennent du fait que nous, auteurs et lecteurs, savons ce qu’il se passe dans sa tête, que nous connaissons ses problèmes via le blog et le forum, et donc notre jugement est biaisé par la pitié.
Personnellement, je suis assez fière d’avoir réussi à séparer les sentiments de tendresse que je-auteur peut avoir pour Cômauteur et Côme-personnage avec les sentiments que ma marionnette a pour lui. Là encore, il faut savoir dissocier…
7 Commentaire de Come-de-la-caterie -
@Avril : tu as tout à fait raison quand tu écris :
Soyons honnête… Cômauteur est encore pire que Côme-personnage. Dans ce jeu littéraire il essaye de voir ce que ça fait d’être moins “connard-agressif”.
Et ben… c’est pas simple et c’est tout l’intérêt de ce jeu de rôle !
:D
8 Commentaire de Joseph Midaloff -
Me voilà rassuré !
9 Commentaire de Malia -
June : intéressant. Cependant, je ne pense pas dissocier les personnages de leurs auteurs car si j’ai participé a ce jeu littéraire, je ne connais quasiment aucun auteur. A moins que j’apprenne au 15 septembre que mon voisin, Macron ou mes chats ont campé Nokomis, Midaloff et June East.
J’ai apprécié le texte premier de la confrontation avec Côme, très bien écrit. C’était drôle et c’est là le meilleur a retenir. Mais j’ai une propension à aimer spontanément la faiblesse, le désarroi, la difficulté à tirer son épingle du jeu. Chacun sa perception des personnages créés, c’est formidable de voir combien ils prennent corps et passionnent. Bravo !
10 Commentaire de Pétronille -
“Ce serait dommage que votre fourche se plante ailleurs que dans du foin…” J’adore.
11 Commentaire de Avril -
Malia : Il faudra vraiment qu’on ait tous cette conversation à la fin du jeu, je crois.
Ah mais moi aussi.
Avril l’autrice a toujours tendance dans la vraie vie à prendre le parti du plus faible, de celui qui a des difficultés psychologique ou autre. Et je crois aussi que June est une brave fille, pas méchante pour deux sous, qui est également capable d’empathie. Mais Avril ne pouvait pas laisser June être tendre vis à vis de Côme-le-personnage puisqu’il ne lui avait pas laissé voir ses faiblesses et ses problèmes. Elle n’avait connu de lui que la muflerie. Elle ne pouvait donc que le détester avant de comprendre les raisons et de voir ses faiblesses.
C’est en ça uniquement que je parle d’exigence de dissociation entre l’auteur et son personnage. Ce que l’auteur sait des autres clients de l’auberge (en lisant le blog ou le forum) ne doit pas influencer le comportement du personnage qu’il marionnettise.
Après, ce n’est que mon avis. Et mon point de vue sur la crédibilité de ma marionnette.
12 Commentaire de Malia (l'auteur) -
Le jeu reste un jeu et nos personnages, des personnages qui s’éteindront naturellement.
13 Commentaire de Avril -
Amen !
14 Commentaire de Noé -
C’est dans un film à la Kill Bill qu’il va falloir la distribuer, not’ June 😂😎
15 Commentaire de Avril -
Pétronille : June n’y connait rien, et à cette heure là tous les instruments à vent lui font l’effet d’une désagréable trompette ;)
Noé : Tarantino peut m’appeler quand il veut ! ;’D