(Mardi, quinze heures trente. Côté jardin, la rue. Sur le trottoir, on devine une vieille grille métallique verte fixée sur deux piliers de vieille pierre. Sur le montant, à gauche, une petite cloche en fonte, verte aussi. Le tout patiné par le temps. Côté cour, et occupant presque tout l’espace scénique, le jardin : fleuri, maison au fond. Une table en fer forgé et quelques chaises sur une terrasse devant la maison. Arrive une jeune femme sur le trottoir côté jardin qui agite vigoureusement la cloche. Côté cour, une vieille femme en blouse à carreaux protégée par un tablier de jardinier vert bouteille, un sécateur dans une main, une canne dans l’autre, mais le pas vif encore, traverse le jardin et vient ouvrir à la jeune femme.)
— (à voix forte) Ça vient, ça vient, on arrive ! C’est que j’ai plus mes jambes de vingt ans, dame ! C’est qui ? C’est pour quoi ? Qui ça peut bien être, le facteur a déjà passé ? (ouvre la grille)
— Bonjour. Je suis bien chez madame Grolleix ?
— (toujours aussi fort) Bon sang je t’avais oubliée, ma poulette. Entre donc. (la considérant) Ben il a raison, l’Henri, t’es son portrait tout craché !
— Bonjour madame, je suis Nokomis, la petite fille d’Amarok. Monsieur Durand vous a avertie de ma visite, je crois. Je ne vous dérange pas ?
— (toujours aussi fort) Parle pas trop fort, ma poulette, le réveille pas, i dort. Il travaille la nuit à l’auberge. Ah ben pour te reconnaître, je t’ai reconnue, hein. Tu lui ressembles comme deux gouttes d’eau.
— (chuchotant) Pardon. Je sais, il est veilleur de nuit à l’auberge où je loge. Je l’ai aperçu quelquefois, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de faire sa connaissance.
— (toujours tonitruant, je ne l’écrirai plus, mais continuez à l’entendre ainsi) Alors comment elle va Amarok ? Ça fait une paye, hein ! Sacrédiou, c’est elle que j’ai l’impression de voir tellement tu lui ressembles. (la regardant d’un regard appuyé) Un peu plus jeune quand même. T’as l’air d’avoir l’âge de ta mère à l’époque. Mais reste donc pas plantée comme si t’étais en visite, viens t’asseoir, on va boire un coup, c’est presque l’heure de l’apéro. (sort pour entrer dans la maison)
— (toujours chuchotant jusqu’à la fin de l’échange) Je ne prends jamais d’alcool, madame.
— (revenant avec une bouteille entamée et deux verres) C’est pas de l’alcool, c’est du vin jaune, ça peut point faire de mal. (s’assoit, remplit les verres, on entend le petit glouglou sympathique de la bouteille. Prend un verre, pousse l’autre vers Nokomis, avale une gorgée et claque la langue) Allez, fais pas ta princesse, ma fille, goûte moi ça, c’est du bon !
— (trempe à peine ses lèvres dans le breuvage et repose son verre sur la table dans la ferme intention de l’oublier) Vous avez connu ma mère ?
— Ben c’est surtout Amarok que je connaissais. Comment qu’elle va ? Ta mère je l’ai vue que quelques fois. Une jolie jeune femme ma foi. Tu lui ressembles pas du tout.
— Je ne me rappelle pas très bien d’elle, vous avez su pour son accident ?
— Oui, Amarok m’avait envoyé un faire-part. Je suis pas venue aux funérailles. Dame, Paris ça fait une trotte. Pauvre petite, orpheline si jeune. Et ton frère ? Il est pas venu avec toi ?
— Non. Il n’a pas pu.
— Quand même, on aurait jamais cru ça de Kishi, elle avait pas l’air d’une cocotte, ça non.
— Ce n’était pas une cocotte, madame. C’est mon père que je cherche. Vous savez qui c’est ?
— Ben diantre, c’est sûr que tu peux pas dire ça de ta mère, ma fille. C’est quand même ta mère. On l’a jamais vue avec personne, Kishi, et surtout pas avec un gars.
— Enfin, elle avait bien des connaissances ?
— Écoute, ma poulette, je peux pas te dire, j’ai point vu. Elle travaillait à l’élevage de chèvres, elle gardait le troupeau et elle aidait à la traite. Faudrait que tu voies par là. Peut-être quelqu’un chez eux se souvient d’elle ? Ils font plus des fromages, hein, c’était pas assez distingué pour leurs gamins qu’ont repris. Des chèvres angoras, qu’ils élèvent maintenant, ils les tondent, pauvres bêtes, pis ils font de la laine qu’ils vendent aux vacancières. Va donc au marché, jeudi soir, l’attrape couillon pour touristes, là. Je crois qu’ils ont un stand.
— Merci madame Grolleix. J’irai.
— Ben tu bois pas ton canon ? T’es bien comme ta grand-mère, tiens. C’est une femme bien, Amarok, mais elle a jamais su boire un coup. (vide le verre de Nokomis, cul sec, et s’essuie la bouche d’un revers de manche.) Ah, ça fait du bien par où que ça passe !
✻ ✻ ✻
(Mercredi, 13h13, à l’auberge. Nokomis étudie l’affichette annonçant le marché du lendemain)
— Bonjour, madame Lalochère. J’aurai besoin de prendre mon vélo demain soir, pour aller au marché. Le local sera-t-il encore ouvert quand je reviendrai ?
— Bien sûr, mademoiselle Desfontaine. Je vais juste prévenir monsieur Durand que vous rentrerez tard, qu’il ne vous prenne pas pour une cambrioleuse.
1 Commentaire de La commanditaire de Caroline Etienne -
Je n’aurais jamais imaginé attendre avec autant d’impatience un marché local pour attrape-couillons et bravo pour la peinture de la Mère Grolleix!
2 Commentaire de Come-de-la-caterie -
J’aime beaucoup la description de Mme Grolleix : on la visualise tout de suite !
3 Commentaire de Kozlika -
Comme les autres, j’adore ta peinture de Mme Grolleix :)
4 Commentaire de Sacrip'Anne -
Mais qui est ce mystérieux père bon sang de bois
5 Commentaire de Sacrip'Anne -
Pardon il manquait la fin : “?!?”
6 Commentaire de Pep -
Comme mes prédécesseures, portrait cocasse et haut en couleurs.
Pourvu que la nièce Samantha ne termine pas comme ça.
Ce serait vraiment moche. /o\
7 Commentaire de Nokomis Desfontaine -
@LaCommanditaire @Côme @Kozlika @Pep Oui, elle est géniale la mère Grolleix, bien contente qu’Henri nous ai présentées…
@Sacrip’Anne Patience, l’heure des révélations approche.