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Livia Agostini

Chambre 2

La Mafia des Cupidons

Oh Gianni, mon fils, comme je suis malheureuse d’être toute seule dans ce Jura mortifère. Il me tarde tant de retrouver mon île, ma maison et mon cimetière. Bientôt deux semaines que je n’ai pu me recueillir sur la tombe de ton père, l’amour de ma vie. Cette vendetta des Fortini doit cesser au plus vite. Va trouver ton oncle, Ange Agostini, et convaincs-le d’aller présenter ses excuses à Ghjulia Fortini. Elle doit savoir que j’ai intrigué pour qu’il l’abandonne devant l’autel le jour du mariage. Je t’en prie, mon fils, obtiens d’eux mon pardon et ma délivrance !

Les promenades autour du lac ne suffisent pas à occuper mes sombres journées, alors je lis sur mon balcon ou dans le patio de l’auberge. J’ai achevé tous les romans Harlequin de la bibliothèque. Quelle misère, ces histoires romantiques ! A-t-on idée de se mettre dans des états pareils ?

Ce mal pernicieux semble avoir infecté toute la région. Je ne peux tourner la tête sans tomber sur une pimpante biquette entichée d’un bouc éberlué. Tu te souviens de la fille aux fromages dont je t’avais entretenu ? Et bien, elle a une aventure avec le chauffeur-livreur. Ils essayent de rester discrets, mais on ne la fait pas à Livia Agostini. J’ai bien vu leur petit manège. Il y a aussi ce couple avec une gosse asiatique (encore une qui a trompé son époux avec son acupuncteur, si tu veux le fond de ma pensée). Je ne te parle même pas de ce réalisateur qui s’affiche un peu partout avec une femme bien trop jeune pour lui. Personne ne lui a jamais appris que donna Bella, tribbulu di casa ! [1Et la petite serveuse marseillaise du restaurant, elle me semble bien trop guillerette pour être honnête, et encore plus quand elle revient de la ferme. Santa Maria, j’ose à peine imaginer ce qu’elle peut bien faire dans la grange ! Les personnes âgées ne sont pas en reste, pour un couple de vieilles sitelles qui quitte l’auberge, un autre arrive. J’ai même aperçu deux femmes se promener avec un bébé, et surpris pas plus tard que tout à l’heure la cuisinière qui enlaçait la patronne.

Oh Signore ! Toutes ces âmes amoureuses me rappellent tant ton père et toute la tendresse qu’il avait pour moi, comment il me disait son attachement en silence. Voir tous ces gens et leur folle passion me remplit d’un chagrin lourd comme l’orage.

Ghjesù Ghjesù ! Les Fortini m’ont retrouvée. Ils veulent me fendre le cœur et ils ont contacté la Mafia des Cupidons !

Gianni, u mo figliolu, veni quì ! Et apporte la carabine !

Notes

[1] “Femme belle, tourment à la maison”, dicton corse.

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