Informations sur l’accessibilité du site

Émilie Lacombe

Chambre 15

Ah ! Belle famille !

Voici quatre jours que j’ai accosté dans ce havre, refuge face aux tumultueuses tempêtes intérieures qui me traversent depuis plusieurs semaines. Voici quatre jours et les mots commencent à revenir, se laissent coucher à l’écran comme un écrin résistant aux maux. Je trouverai ici, je le sais, je le sens, la sérénité qui me faisait défaut depuis…

J’ai passé ces quatre derniers jours comme une sauvage … sitôt installée, j’ai exploré les environs immédiats de l’auberge, obtenu au village une carte des promenades et randonnées de la région et préparé mon sac à dos pour partir en expédition dès le petit matin pour ne rentrer qu’à la nuit. Je cherchais dans l’exercice un moyen d’épuiser physiquement le surplus de tensions nerveuses accumulées.

Mardi, je suis donc partie bille en tête, et me suis surprise à plusieurs reprises à maugréer à haute voix, à ressasser en boucle les douze dernières années de rapports peu amènes avec ma belle-mère et à lui dire tout ce que j’ai sur le cœur. Au début, c’était insidieux, cela ne méritait pas d’être relevé et, pour vivre en famille, il faut faire des compromis… Mais, depuis qu’elle est à la retraite, elle a beaucoup trop de temps disponible et cherche dans le moindre détail, la moindre parole, à faire d’une brindille un incendie : son fils et ses petits-enfants méritent une femme et une mère plus présente chez elle, comprendre à demeure et disponible à chaque instant. J’ai eu beau lui trouver l’excuse de son éducation, de son milieu social ou tout simplement d’un choix de vie tout à fait honorable tant qu’on ne tente pas de l’imposer aux autres ! Je fonctionne comme une cocotte-minute, je peux laisser la pression s’accumuler, et ne pas donner suite aux coups pris – pas la peine de perdre de l’énergie à rendre, il vaut mieux la concentrer à des projets plus positifs – même si un peu de pression apparaît : qui me connait un peu sait que, là, il ne faut plus me titiller. Le problème, c’est que certaines personnes y voient là le signe d’un bon punching ball sur lequel se défouler et n’hésitent pas à poursuivre s’imaginant qu’il n’y a pas de limite ou cherchent à voir où elle se trouve… et, forcément, à un moment, la limite, on finit par l’atteindre et l’explosion se produit… Et là, justement, elle l’a atteinte la limite et, donc en pleine randonnée, au milieu des épicéas, elle a rencontré ma colère dans mon dialogue intérieur… Ah belle-famille !

Mercredi, randonnée et rebelote : la colère est allée crescendo jusqu’au sommet si bien que j’aurai pu faire la route avec des chamois sans m’en rendre compte ! Cette fois, mon mari a pris aussi cher que sa mère ! En douze ans de mariage, avec de fréquents déplacements pour Pierre, nous avons toujours fait de l’été un moment privilégié : outre les congés, il s’arrangeait jusqu’à présent pour ne pas avoir de déplacements, si bien que, ne rentrant pas trop tard, cela permettait de faire des activités avec les enfants. Et même, l’année dernière, nous avons pu couper à la semaine passée à la maison de campagne avec beau-papa et belle-maman : « ne venez pas cette semaine-là, nous avons les je-ne-sais-plus-qui-de-nos-amis-très-riches-et-très-importants qui viennent nous rendre visite » et puis Pierre a dû déplacer ses congés pour rendre service à un collègue rendant impossible cette super semaine… bref de vraies vacances ! Et cette année, je n’ai rien vu venir. Belle-maman a encore frappé en offrant des vacances aux Etats-Unis et seulement trois billets, « car connaissant votre aversion pour l’avion, nous n’en avons pas pris pour vous »… or, pour partir dès la semaine suivante, il fallait que les passeports des enfants soient faits et les ESTA bien en règle… documents sortis comme par magie de la même enveloppe que les billets. Découvrir ainsi que son mari est dans la confidence et qu’il n’a pris ni la peine d’en parler ni d’éviter mon exclusion du projet m’apparaît au final comme un petit coup de canif supplémentaire à une relation qui bat de l’aile depuis l’hiver, plus douloureux que les petites phrases bien senties de sa mère… Je n’ai jamais attendu de lui qu’il soit un héros, mais je lui espérai le courage de respecter autrui, son couple… Ah belle famille !

Jeudi, aux aurores, j’ai pu avoir brièvement les enfants en appel visio. Ils venaient d’atterrir à Miami, 2e étape de leur road trip – pardon de leur flight trip – américain. Tous les deux aux anges à l’idée de nager avec des dauphins le lendemain… Louise a mal supporté le décalage horaire et Gaspard le repas dans l’avion… la première escale à New York a donc été un peu difficile mais cela semble être rentré dans l’ordre. Leur image m’a accompagnée toute la journée. Voilà ma belle famille ! Pour la première fois de la semaine, j’ai vu autre chose que le bout de mes chaussures, entendu le chant des oiseaux et senti la résine des sous-bois chauffés par le soleil. Arrivée au sommet, le panorama était à couper le souffle et j’ai inauguré l’appareil photo. S’oublier, évacuer la peine, laisser la colère s’évanouir, s’ouvrir à ce qui m’entoure… Vendredi, j’ai remis cela et apprécié les paysages variés, poussé la chansonnette dans un cirque à l’acoustique magnifique, humé le parfum des herbes sauvages. Une sorte d’apesanteur s’est glissée dans mon esprit.

En revanche, une sorte de chape de plomb paraissait s’être abattue sur l’auberge à mon arrivée… La veille, l’ambiance paraissait légère, beaucoup de clients avaient fêté l’anniversaire d’Adèle, la fille de l’aubergiste, j’étais arrivée alors que tous se dispersaient poursuivant joyeusement les échanges. J’avais eu l’impression d’avoir affaire à une fête de famille… une famille qui ne se lie pas du sang qui coule dans les veines, mais de cœur. Et toute famille est parfois mise à rude épreuve. Un des clients, un comte si j’ai bien compris, s’en est allé laissant son homme de compagnie orphelin, et une grande partie de l’auberge bouleversée comme pour le décès d’un proche…

Haut de page