On ne s’était pas donné rendez-vous dans dix ans pourtant nous étions tous là autour d’Adèle alors qu’elle soufflait ses bougies. Curieuse assemblée d’inconnus, des étrangers les uns pour les autres principalement, parfois entraperçus au détour d’un couloir, d’une parole échangée en attendant l’ascenseur… Nous étions tous arrivés dans cette auberge un peu comme si nous y avions vu de la lumière. Des sourires sincères. Une légère pointe d’amusante rivalité silencieuse peut-être à l’ouverture des cadeaux. Lequel toucherait le plus la star du jour. Des vécus différents qui paraîtraient incompatibles sous le microscope des experts en relations humaines. Et pourtant. Le temps d’un goûter d’anniversaire, au-delà de la poignée du cercle des intimes, le noyau dur des copains, il y avait quelque chose de tribal autour de la gamine, peut-être même de familial. Un peu. Comme des pièces disparates d’un étrange puzzle qui auraient trouvé le seul endroit sur terre où elles pourraient toutes s’assembler en un tableau chaleureux, ne serait-ce que l’espace d’une journée, ou d’un été.
À chaque départ, Jeanne remerciait d’un regard complice ou d’un mot gentil. Tous les instruments avaient joué leur partition, une parfaite représentation. Elle devait avoir été cheffe d’orchestre dans une autre vie. Curieux personnage que ce petit bout de femme pour parvenir à canaliser autant d’énergies et attirer autant la sympathie. Magnétique Jeanne.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent. Je profitai du miroir pour vérifier que ma poitrine était correctement ajustée dans son bustier et vis son reflet derrière, l’élégance de l’homme dans son costume. Il pressa le bouton du second étage et se retourna. Si seulement il pouvait toujours me regarder comme il le faisait maintenant. M’aurait-il remarqué dix ans plus tôt ? Je l’ai croisé au bon moment. Il me vola un baiser avant la réouverture des portes. Si tant est qu’on puisse parler de vol.
Il appuya sur le bouton d’arrêt d’urgence.
Oui. Arrêter le temps. Le temps de jouir de chaque instant. Demain sera maintenant. Après-demain aussi.
Autre rendez-vous introspectif avec soi-même : le brossage des dents devant le miroir de la salle de bain. Là, où tu as le visage le plus con qui soit et que tu le vois. Étonnant, non ? Je n’ai jamais compris pourquoi à ce moment précis le cerveau décide de passer en mode analyse.
Et dans dix ans, aurai-je une tribu pour m’entourer ? Deux parents, une copine d’enfance et un pote du Cours Florent, ça fait léger. Même pas les doigts d’une main. Y a de la place pour le Javot. Et aussi pour son fils sur l’autre main. Faudrait que j’y travaille. Ne plus me contenter de simples connaissances. Bâtir des liens affectifs solides et durables. Que je fasse comme Jeanne. Que je me trouve un Henri, un Gaston, un Lucien, et aussi un Vernon, une Natou… Du long terme, du robuste. Il sera où le Javot d’ailleurs dans dix ans ? Se sera-t-il lassé ?
J’attrapai ma plaquette de pilules. « Il était mortel le miyeokguk, non ? Faudra que je demande la recette à Janette », lui hurlai-je en faisant sauter l’opercule pour libérer un comprimé. Okay, pas vraiment le genre de phrase idéale pour bâtir du durable.
Il m’attendait, impatient, allongé sous le drap.
— Elle faisait quoi ma dulcinée dans la salle de bain pendant des heures ?
J’ai éclaté de rire.
— Ouais, dulcinée, ce n’est pas ça non plus. Mais je tente, j’explore… Au moins, tu as vu, j’ai dit « ma », ajouta-t-il goguenard.
Il se moquait plus de moi et de ma requête de l’autre jour sous la douche qu’il ne cherchait réellement un terme pour me définir. J’en étais tout à fait consciente et il le savait. Nous avions atteint ce degré d’intimité où on parvenait à se taquiner sans risque sur des points sensibles.
— Moi, j’te dis, il va s’en passer des années avant qu’on arrive à la classe ultime d’Ann-Kathrin et Akikazi, dis-je en me lovant tout contre lui.
— Ah, oui, mais eux, on est dans les sommets ! Faut que je grimpe à cette altitude ?, demanda-t-il faussement effrayé.
— T’inquiète, je ne suis pas pressée, j’ai l’éternité.
1 Commentaire de Pep -
Moui. Il va tout de même falloir qu’il grimpe un peu, June… ;-)
J’aime beaucoup ces nouvelles couches de June, d’ailleurs.
Ça ne rend que plus belle et précieuse sa “légèreté”.
2 Commentaire de Jeanne Lalochère -
Complètement d’accord avec Pep, tu as rudement bien fait de revenir June <3
3 Commentaire de Ann-Kathrin von Aalders -
C’est drôle hein, ce qu’on peut projeter en temps que personne et combien cela peut être différent de ce qu’on a dans la tête ? Je ne crois pas que ni AK, ni Aki se soient pensé “classe ultime”, ni individuellement, ni ensemble, mais c’est émouvant de penser qu’ils aient pu projeter ça et encore plus émouvant de penser qu’ils l’aient projeté comme un modèle.
Javot et June (JaJu? lol) forment un couple qui me fascine et que leurs auteur.e.s ont tellement bien fait évoluer ! Tout en douceur, tout en caresses, tout en à fleur de peau cachée sous des gaîtés vraies et des pirouettes pudiques, sans jamais sacrifier à la facilité du tout fleur bleue ou tout noir. J’aime leur simplicité complexe, ou leur complexité simple. Merci pour ça. <3
4 Commentaire de Sacrip'Anne -
Love sur June !
5 Commentaire de Avril -
Pep, Jeanne : Cela faisait aussi partie des 48 512 raisons de mon envie de revenir. Dans ma première partie, j’avais un scénario et trois courtes semaines pour le faire aboutir. J’avais bien peu de temps pour le côté “instrospectif” de June. J’avais le regret d’être partie sans lui avoir donné vraiment de profondeur. Là, j’ai du temps et aucun agenda. Alors je profite, j’abuse, je tente, je m’amuse…
AKvA : C’est justement ça aussi la beauté du couple AKvAki, ils ne se rendent même pas compte de la parfaite harmonie qui irradie autour d’eux (les personnages). Qu’il y ait des tempêtes et des questionnements dans leur tête, j’en suis tout à fait consciente, nous les avons lus sur leurs billets d’ailleurs. Mais dans mon imagination, quand je les vois en public, ensemble, ils sont tellement sereins et amoureux, que rien d’autre ne transparait. D’où mon interprétation. “Classe ultime” n’est peut-être pas la meilleure expression, j’en conviens.
Un modèle pour JaJu ? Je ne sais. JunÉric manquent peut-être de zenitude pour y arriver. La référence d’une des multiples définitions possibles de l’Amour. Oui, certainement.
Autre chose certaine : les AKvAki n’ont pas ce désir de se projeter comme un modèle pour les autres. Ils sont (dans ma tête) arrivés à un point où l’opinion des autres n’est plus un paramètre.
On en rediscutera en septembre (ou si AK revient <3 ).
Ton compliment pour les auteurs me touche infiniment, tu n’as pas idée ! Suis toute chose là… <3
Sacrip’Anne : :-*
6 Commentaire de Natou auteur -
Bé en tout cas, Natou, elle aimerait bien entrer dans le durable avé June, elle l’aime Sa June ! Sa première coupine à l’auberge !
7 Commentaire de Éric Javot (L'auteur) -
Je sens que l’ascensoriste va encore se faire engueuler :-) Bon va falloir que je me regarde la prochaine fois que je me lave les dents, en général je pense surtout à des trucs sans intérêt genre “Ah merde j’ai oublié de changer l’ampoule de la cuisine, ou au connerie du taf ou…
->AKvA : Merci, tout comme Avril je suis touché ;-)
8 Commentaire de Jenny -
Je ne fais que lire donc je ne sais pas qui écrit quoi mais le commentaire d’Avril confirme ce que je pensais… Avril-Mae-Juin c’était pas une coincidence… Et Cora di Maggio (mai ?)… Chi sà ?