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Lucien Durand

veilleur de nuit

Les petits Lulus

Durant ma ronde dans les étages la nuit dernière, en passant devant la chambre 13, j’ai entendu pleurer un bébé, et je me suis arrêté pour écouter. Ce n’était pas fort, et pas vraiment des pleurs, juste un petit gémissement d’inconfort, comme s’il avait rêvé et s’était réveillé quelques instants, puis, rassuré, s’était retourné dans son berceau et s’était rendormi.  Ils font des bruits comme ça, les tout petits, au milieu de la nuit, et on sursaute en pensant qu’ils pourraient être malades, on s’en fait une montagne durant quelques secondes, et puis ils reprennent le cours de leur nuit et nos inquiétudes s’en vont avec leurs rêves. Je ne sais pas si ses parents l’avaient même entendu, tellement son réveil m’a semblé bref. J’ai attendu quelques minutes pour vérifier qu’il s’était bien rendormi, murmurant dans ma tête une petite berceuse, et puis n’entendant plus rien, j’ai repris le cours de ma promenade. Brave petit Lulu, je lui ai souhaité silencieusement de faire de beaux rêves et d’avoir une belle vie, de grandir choyé et aimé et de devenir un grand garçon fort et costaud comme Gaston, et j’ai imaginé comme souvent que ce tout petit aurait pu être le mien, aurait dû même, si la vie m’avait distribué les bonnes cartes, ce qu’elle n’a pas fait malheureusement, je l’ai peut-être déjà raconté.

J’ai toujours aimé les bébés, peut-être simplement parce que j’ai tellement voulu en avoir des dizaines, qui gambaderaient autour de moi dans mon salon, au son de musiques enjouées et au milieu de tas de peluches et de ballons. Je m’en serais si bien occupé, de ces petits Lulus, leur racontant des histoires, leur chantant des berceuses, leur concoctant de petits plats et m’émerveillant devant chacun de leurs accomplissements, comme le font tous les parents, du moins je l’imagine. J’aurais tant aimé m’inquiéter de leur première dent, chasser leurs cauchemars, préparer leurs cartables pour leur entrée à l’école, et les soutenir au moment de leurs premiers amours. Mais cela n’est pas arrivé, alors j’ai gardé au fond du cœur tout cet amour qui débordait, comme un ruisseau qu’on ne peut contenir, et je l’ai déversé sur les enfants des autres, parce que je ne pouvais pas le garder pour moi. Et ces enfants des autres, filles ou garçons, sont pour moi autant de petits Luciens et Luciennes, et ils sont un peu à moi, un tout petit peu, parce que je pense à eux, parce que je me soucie de leur avenir et de leur santé, et de leur bonheur, tous autant qu’ils sont.

Alors quand j’ai appris que c’était bientôt l’anniversaire d’Adèle, la petite Lulu de Jeanne, la petite Lulu de toute l’auberge maintenant, j’ai commencé à chercher dans ma petite tête ce que je pourrais bien lui offrir, ce qu’elle aimerait que je lui donne ou lui montre, une chose qu’elle n’aurait jamais eue ou vue, ou même imaginée. Il ne s’agissait pas de lui faire un cadeau matériel, je serais bien en peine de savoir ce dont elle a besoin ou envie. Il me fallait quelque chose que d’autres n’auraient pas eu l’idée de lui offrir, une chose qui lui ferait se rappeler son tonton Lucien pendant au moins quelques semaines, et j’ai finalement trouvé : je vais lui offrir un renard ! Je connais peu d’enfants qui ont un renard, sauf les petits princes qui peuvent tout s’offrir, et j’ai pensé qu’elle était elle aussi une petite princesse et qu’elle le méritait, de découvrir les étoiles à l’heure où tout le monde dort, et de se faire un ami, un ami que peu d’enfants peuvent avoir, un ami que l’on ne partagera pas avec les copains d’école, un ami secret comme aiment en avoir les enfants qui grandissent.

Ce soir, j’en parlerai à Jeanne, pour lui demander la permission de faire dormir sa petite Lulu dans le salon, et la réveiller à l’heure de nourrir mes visiteurs nocturnes, en espérant qu’elle accepte et que je puisse voir l’émerveillement dans les yeux de la gamine, car je ne les regarderai pas eux, les renards que je connais si bien, mais j’aurai le regard braqué sur son visage à elle pour y saisir les étincelles que je rêve d’allumer dans son cœur. Qui sait, elle pourrait même avoir la chance d’être adoptée par un des renardeaux, comme l’avait été l’amie de Gaston, celle qui s’était enfuie dans les bois avec ma petite famille ?

Là mon Lulu, tu as trouvé un cadeau digne de cette petite, j’espère que ça lui plaira.

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