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Nokomis Desfontaine

Chambre 6

Le cadeau de Naya

J’ai reçu un rêve. Une grande chatte dans la forêt me fixait de son regard vert. Deux yeux fascinants, hypnotiques, posés sur mon regard intérieur. C’était étrange, comme si j’avais été réveillée dans mon sommeil, je savais que je rêvais, je savais que le rêve était bien réel et que je ne rêvais pas. Jeu de miroirs.

✻ ✻ ✻

Elle m’a parlé un langage étrange, sans paroles, et j’en comprenais chaque mot. J’ai vu Amarok et Yahto, dans le petit salon de notre appartement du dix-neuvième. On aurait dit qu’ils attendaient quelque chose. Soudain, leur regard s’est éclairé, ils étaient complètement immobiles, concentrés, absents à leur décor, mais bien présents, quelque part ailleurs. Et comme ils ne bougeaient plus, je revoyais mon voyage : le chemin a défilé dans mon esprit, étape par étape, lentement, en un éclair.

J’arrivais devant l’auberge et rencontrais cet étranger qui a rangé ma remorque. Amarok a dit : « Ce n’est pas lui. »

J’étais sur le ponton. Je saluais la pleine lune masquée par les nuages. La lune sait toujours quand on la salue. J’ai chanté le chant qu’Amarok m’a appris. Un poisson énorme est monté des profondeurs jusque sous la surface, il a sorti la tête hors de l’eau, il a fait un petit saut, et l’eau a chanté aussi d’une voix de cascade. Une taille respectable, vraiment, un aïeul, sûrement. Je me suis inclinée pendant qu’il disparaissait dans les fonds mouvants. Amarok a dit : “Tout est bien.”

Je suis revenue lentement dans ma chambre. J’avais encore l’impression que quelqu’un m’accompagnait. Plusieurs fois je me suis retournée, mais je n’ai vu personne. Quand je suis revenue à ma chambre, j’ai cru percevoir une forme s’insinuant à l’intérieur avec moi. Rien. La porte-fenêtre était ouverte sur la nuit, il m’a semblé voir une ombre s’éloigner rapidement vers les bois. Ma chambre donne sur la forêt. Sans doute était-ce l’âme qui m’a tenu compagnie tout au long de la route.

A nouveau j’étais dans le salon de notre appartement. Yahto et Amarok s’éveillaient, là-bas, à Paris. Le chat au regard  vert a fermé les yeux, le rêve était fini. Je me suis rendormie.

✻ ✻ ✻

J’ai marché chaque nuit les sentiers de la forêt. Je marche la nuit, j’y vois mieux. Je marche chaque nuit. C’est là que je l’ai vraiment vue pour la première fois, perchée sur une branche, son regard d’émeraude, vert lumière au milieu des noirs sapins, éclairait le chemin. Je me suis approchée et je l’ai reconnue, Naya aux yeux d’émeraude. Chaque soir après le dîner, elle m’attend et nous parcourons les sentiers. Est-ce Amarok qui me l’a envoyée ?

✻ ✻ ✻

Hier, en me réveillant, je l’ai trouvée sur le balcon. Ce n’était pas l’heure de nos rendez-vous. Je ne savais pas comment la faire sortir de l’auberge discrètement, je ne pense pas que l’on y accepte les animaux, et un félin de cette taille ne passe pas inaperçu. Le soleil était déjà haut et nombreux les promeneurs. Je l’ai fait entrer dans ma chambre sans réfléchir, et je suis descendue avaler mon petit déjeuner. Quand je suis revenue, quand j’ai ouvert ma porte, elle a jailli de ma chambre. Je l’ai suivie en appelant son nom, elle s’est engouffrée dans une autre. Naya a traversé prestement la chambre, a sauté sur le rebord du balcon, et d’un coup elle a disparu. J’ai entendu quelque chose tomber au sol, je l’ai ramassé et j’ai fermé mon poing dessus. Je me suis excusée auprès de l’occupant des lieux, un gros homme peu amène que j’ai entendu appeler Côme. Je lui ai expliqué que des chats forestiers vivent dans les forêts jurassiennes et qu’il venait d’avoir la chance d’en rencontrer un. Après tout c’est la vérité. Il a grommelé je ne sais quoi et Amarok a dit : “Ce n’est pas lui.”

Je me suis esquivée sans demander mon reste, serrant fort au creux de ma main le cadeau de Naya.

Lâche tes pensées, Nokomis, c’est le temps d’aller la rejoindre.

 

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