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Jeanne Monfreau

Chambre 15

Feuille de hêtre et de papier

Emilie passe demain matin, vers 8 heure 30. Ma valise est prête. J’ai tout rangé, soigneusement. Même quelques petites souvenirs. J’ai mis quelques feuilles du joli hêtre qui borde le lac à sécher dans les pages de mes livres. J’ai bien avancé leur lecture, d’ailleurs. D’être ici, sans le jardin à faire, sans la maison à tenir, m’a libéré bien du temps. Cette maison de Monthodon est un tel travail. Je m’en rends bien compte, mais quoi ? Je ne vais pas la laisser se déglinguer Ca me force à me bouger, tiens, de devoir m’occuper des fleurs, des légumes, des arbres, et les carreaux, le parquet, la poussière des meubles. De quoi aurai-je l’air, si j’abandonnais tout ça ?

Les derniers jours sont passés à une vitesse folle. J’ai repassé du temps avec la petite, je me suis promenée encore dans le parc, j’ai croisé les différentes connaissances, mais… Je ne sais pas, après le départ de Diane, j’ai en tête mon propre retour, la valise à refaire, ressortir les billets de trains, tout cela m’occupe l’esprit. J’espère que tout ira bien et que je retrouverai quelqu’un pour m’aider au changement de Lyon. Emilie m’a dit qu’elle avait bien appelé Mme Pernin pour moi, qu’elle sera bien à l’arrivée de mon train. Toute cette organisation, je leur fais bien du soucis, allez. Une qui doit se faire du soucis, c’est la petite jeune du Sud. La voila devenue serveuse au restaurant de l’auberge, et ma foi, elle ne s’en sort pas plus mal que les précédentes. Ça n’est pas l’avis du monsieur de la chambre 9. Il s’en est pris à elle méchamment hier soir, pour une pauvre histoire de pain qui manquait. Quand même, ce n’est pas une raison de s’en prendre à elle publiquement, c’était à peine son premier jour. Pauvre petiote. J’aurai du lui dire merci en partant du restaurant, mais elle courrait avec des assiettes à la main, je n’ai pas voulu la déranger pendant son service. J’étais à table avec les Biraben ce soir là, eux aussi trouvait que le monsieur de la 9 n’était pas très commode. Par contre, lui, il est gentil comme tout, et alors, il en sait plein de choses auxquelles je ne comprends rien. Apparemment en ce moment, il visite des choses en Afrique en même temps qu’il est ici, il me parlait de baobab géants et d’instruments de musiques. Je me demande s’il n’affabule pas un peu. Mais il est tellement passionné quand il en parle, j’ai l’impression de voyager avec lui. Ah, les voyages ! Cette auberge est mon premier changement depuis des années, et j’y prendrais goût. Ce changement, ça fait du bien, et puis finalement j’ai eu raison de me laisser tenter. Surtout, c’est peut être le dernier voyage avant le grand départ, à mon âge c’est quand même le plus probable. Oh ça ne me fait pas peur, c’est ainsi après tout. J’y pensais en dînant ce soir, je m’étais installée toute seule. Je regardais les convives, parfois seuls comme moi, parfois en groupe, tous avec leur destin différent. Il y avait Antoinette, et le capitaine de bateau dont j’ai écrasé le pied, et puis mon voisin Javot qui avait trouvé un pantalon, d’ailleurs. J’ai un petit peu de leurs vies dans ce petit carnet qui m’a suivi ces quelques jours. Je vais l’emporter d’ailleurs, il me plait bien et ça sera un souvenir de ces quelques jours si vite passés. Quelques feuilles noircies avec les feuilles de hêtre, voila ce qu’il restera.

Oh, il faut que je pense à sortir mes billets pour le train de demain. Je vais le faire maintenant, sinon je vais oublier.

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