D’abord il y a eu ce chat…
Ok objectivement, ce n’était pas un chat noir, plutôt gris foncé, mais c’est tout comme… Vu la journée que j’ai passée, c’était un chat noir !
Il a échappé à sa maitresse qui a essayé de me faire croire que ce n’était pas vraiment son chat. Ben voyons ! C’est connu les chats font du stop sur le bord de la route et squattent les chambres des auberges jurassiennes parce qu’ils sont sans le sou !
Elle appelle le chat Naya, mais ce n’est pas son chat…
La jeune femme qui courait après son chat-qui-ne-lui-appartient-pas est allée jusqu’à entrer dans ma chambre ! Le chat s’est faufilé sur le balcon et a sauté pour rejoindre la forêt. Sa maitresse n’a pas fait de même…
Elle a tenté de s’excuser. Je suis resté assez froid, mode empathie OFF…
Je crois qu’elle a compris qu’elle n’était pas la bienvenue. Je vais encore passer pour un ours, et alors ?
J’ai retenu son prénom : Nokomis. Mon dieu, cette mode de vouloir paraitre originale au travers d’un simple prénom…
En même temps Nokomis… No-Côme-Is…
Installé sur le balcon orienté plein sud, je m’étais isolé grâce à mon iPod, l’album Auberge de Chris Rea [1] dans les oreilles… Qui sait peut-être que le chat allait revenir vers nous ? Au lieu d’un félin, c’est une Clio bleue, siglée gendarmerie, que j’ai aperçue sur la route venant de Pollox.
Musique arrêtée, je me suis mis en retrait et j’ai écouté.
Bonjour madame Lalochère, enquête de routine ! Avez vous dans vos clients passés présents ou annoncés un certain Rémi Acceteo ? Bon si par hasard… vous nous prévenez ? (…) Sinon tout se passe bien ? (…) Non c’est gentil, mais vous connaissez la formule : jamais pendant le service !
J’en ai déduit que la patronne de l’auberge qui leur répondait et que je n’arrivais pas à entendre, était dans la réserve, en dessous.
Ainsi donc Marie a porté plainte ? Elle a dû retrouver dans l’historique de mon ordinateur des pages sur le Jura… J’ai bien fait de ne plus utiliser mon téléphone portable et ma carte bleue, mais ça devient chaud quand même…
Je l’ai trompée, elle m’a trompé, elle a eu un enfant et elle reste sur son idée de faire de moi un père à-l’insu-de-mon plein-gré… Les échanges avec mon avocat n’ont donc servi à rien ? Tout ce branle-bas pour récupérer un gros chèque ? La sal***e !
Le repas de midi est passé, je n’ai pas pu descendre. J’avais le ventre noué et j’aurais mordu le premier qui se serait aventuré à m’adresser la parole.
La sal***e !
J’avais dû sentir ce matin, avant le chat, que cette journée serait difficile et j’avais embarqué un pain au chocolat dans la chambre. J’ai commencé à le grignoter… sans envie, sans conviction…
La sal***e !
Tiens ! faudra que je lance le débat chocolatine vs pain au chocolat. Histoire de mettre un peu d’ambiance au petit déjeuner…
Quoi que si ça se trouve, ça tombera à plat. Elle est bien calme cette salle de restaurant. Ils sont bien-polis-bien-propres-sur-eux, les clients.
A condition de ne pas tenir compte des coucheries que je devine ici ou là…
La bienséance de la bourgeoisie provinciale.
Balzac se serait régalé, lui qui écrivit : Pour juger un homme, au moins faut il être dans le secret de ses pensées, de ses malheurs, de ses émotions. Ne vouloir connaitre que l’homme et les événements c’est de la chronologie.
J’ai passé toute la journée, perdu dans des pensées plutôt grises. La faim m’a rappelé à la réalité. C’est que j’ai un certain volume à entretenir !
19h30, je suis descendu au restaurant. Je voulais MA place, dans MON coin…
J’ai eu MA place, avec ce sentiment de maitriser les lieux, comme une vigie à son poste.
Et là, surprise, c’est Natacha, la cliente marseillaise, qui faisait le service. Je suppose que c’est la conséquence de la disparition de son Toni…
J’ai choisi ce soir-là de goûter la “petite salade lyonnaise (salade verte, œufs pochés, lardons, croûtons)” et la “truite au vin jaune accompagnée d’orge et de blettes”. Ce n’est pas si facile que ça de bien préparer une truite… et ce n’est pas parce qu’on la nappe d’une sauce au vin jaune crémée qu’on peut masquer le manque de maitrise de la cuisson…
Natacha a pris la commande avec un grand sourire, je sentais qu’elle veillait à tout contrôler, mais surtout à se contrôler. C’en était touchant.
Je prendrais aussi un verre de vin blanc, une carafe d’eau, et du pain s’il vous plait, l’idée de ce repas était de nature à me rendre rapidement la béatitude souriante propre à l’homme au ventre plein.
La salade est arrivée. Je peux avoir du pain s’il vous plait ?
Mais bien sûr, tout de suite !
J’ai attendu, Natacha virevoltait d’une table à l’autre, souriante et précise. Mais à chaque aller-retour salle-cuisine, pas de pain pour moi. Je me suis contenté des croûtons accompagnant la salade…
Ça va ? vous avez fini ?
Parfait mademoiselle ! Passons à la truite. Et… si vous pouvez penser au pain ?
Vé, je suis étourdie, c’est le premier jour ! Mais je vous apporte ça tout de suite monsieur !
Quelques minutes plus tard, Natacha m’a apporté la truite. Quel parfum ! Un régal pour le nez et pour les yeux avant je l’espérais, pour mes papilles.
Et le pain s’il vous plait ?
Té, vous allez croire que je fais exprès ! j’y vais !
Entre temps Natacha a été happée par d’autres clients et là… j’ai craqué… Ma truite refroidissait !
MADEMOISELLE S’IL VOUS PLAIT !
Tout le monde s’est tourné vers moi, évidemment…
DIX FOIS… dix fois que je vous demande du pain ! On n’est pas à Marseille ici, et on ne s’improvise pas serveuse… Si vous n’avez pas compris qu’il y a une différence entre travailler dans un troquet sur le vieux port et travailler dans cette auberge, il va falloir prendre des leçons.
PUIS-JE ENFIN AVOIR DU PAIN ?
J’ai entendu le silence s’abattre sur la salle. J’ai entendu ensuite les murmures, désapprobateurs évidemment…
Tant pis, quand je mange, je ne rigole pas, je ne suis jamais indulgent.
M. Tardiff, le “housekeeper”[2] s’est approché : Un problème monsieur ?
Non, non, c’est bon,je veux seulement avoir du pain, je crois qu’on est en train de me le sortir du four…
Natacha est revenue avec une panière. Elle ne m’a pas regardé mais je voyais qu’elle retenait ses larmes. Pleine de fureur contenue plutôt que penaude.
Je n’ai pas eu droit à un vulgaire “avec mes essecuses” et j’ai bien compris qu’elle se forçait à bien prononcer “Avec toutes mes excuses, monsieur.”
De mon côté, j’ai été bien trop fier - c’est à dire trop con - pour lui glisser des excuses et lui avouer que j’avais été ridicule de m’emporter de la sorte…
Ça a gâché la fin de mon repas… La soupe de fraises ne m’a pas apporté le plaisir espéré.
J’ai bien vu que les autres clients glissaient des mots de soutien et d’encouragement à Natacha tout en me regardant de biais.
J’ai quitté la salle, évidemment très digne… Personne n’a répondu quand j’ai souhaité une bonne soirée à la cantonade.
“La dignité n’est qu’un paravent placé par l’orgueil et derrière lequel nous enrageons à notre aise.”[3]
1 Commentaire de Isabelle Forget -
Mon “gougnafier” était donc un doux compliment ;)
2 Commentaire de Kozlika -
Ah le cuistre !
3 Commentaire de GG -
Tout les convives vont lui planter un soir leur fourchette devant sa soupe de fraises…. Et plouf dans le lac !
4 Commentaire de Avril -
Du Côme tout craché
Du début à la fin.
Rhalala… En même temps, t’as des soucis là, on peut essayer de comprendre…
5 Commentaire de julmud -
Bien sûr que non, ce n’est pas son chat… les chats n’appartiennent qu’à eux-même et nous font l’honneur de leur compagnie, voyons !
6 Commentaire de Samantdi -
Il y a du truand dans ce Côme-là… À mon avis la police ne se déplace pas pour rien dans le Jura.
7 Commentaire de Noé -
Ah donc c’est Daniel Gélin dans La vie est un long fleuve tranquille, le Côme. Il a effectivement du souci à se faire. Et ne touche pas à Natou, oh !
8 Commentaire de Natou auteur -
Côme ou l’art d’être désagréable ;-) Bravo !